Le Blog de Denis Sigur

Le Blog de Denis Sigur

vendredi 12 mars 2010

Déménagement

Chers ami(e)s
Ce blog est en train de déménager.
Je vous invite à me retrouver désormais à l'adresse suivante:

jeudi 4 mars 2010

Les vases communicants (1)

« …pourquoi ne pas imaginer, le 1er vendredi de chaque mois, une sorte d’échange généralisé, chacun écrivant chez un autre ? Suis sûr qu’on y découvrirait des nouveaux sites… ». Ainsi sont nés les vases communicants. Aujourd’hui, Denis Sigur et Frédérique Martin s’invitent réciproquement.




FANTÔMETTE ET FANTÔMAS (Frédérique Martin)

Il m’arrive une histoire incroyable. Jusque-là, je n’avais pas osé en parler, on m’aurait prise pour Dame Chaillot ! Au début, j’ai feint de ne rien remarquer, j’ai gardé une réserve détachée, un air de pas grand chose. Mais le phénomène est maintenant d’une telle ampleur, je ne peux plus le dissimuler. Voilà, je me lance : mon site est hanté !

J’ai fouillé les archives du KGB, alerté la Nasa, retourné les tapis persans - et même les turcs -, consulté mon Encyclopédie des fantômes et des fantasmes… en vain. Aucune expertise sur le sujet, puisqu’on vous dit que les esprits de blog n’existent pas !

Pourtant ils sont bel et bien là. Ils rôdent à toute heure - de préférence celles des repas - surgissent sans prévenir, laissent des traces partout. Parfois ils se figent sur place, hurlent, trépignent, agitent leurs chaînes. Devant mon intransigeance, ils font mine de sortir, puis reviennent illico. Tantôt solitaires, tantôt en groupe, ils se haranguent, s’interpellent, pique-niquent, fument en cachette, puis s’enfuient en jetant derrière eux des mégots fumants et des poubelles éventrées.

Ils sont de plus en plus nombreux, j’en rêve la nuit. Il y a des fantômettes et des fantômas. Aux heures de pointe, on peut voir débouler : une blonde platine, une paire de grandes oreilles, un petit dadais, une mère de famille nombreuse, un troll et même le spectre d’un chien pelé arroseur d’angles acérés. Ils commentent mes faits et gestes, au point que j’ose à peine traverser leur groupe pour rejoindre mes appartements. Ils ricanent par moment et s’entretiennent à demi-mot, certains ont des avis définitifs et entendent les faire valoir. Il y en a un, victime d’une tragédie, qui délire et lance des cris déchirants : Maman, maman !? Le plus souvent, c’est l’écho qui répond. Enfin, il y a les timides, les inconstants ou les touristes qui viennent en visite une fois de temps à autre, qui se déguisent pour ne pas être reconnus.

L’épidémie a culminé quand une cantatrice s’est mise à vagir dans le couloir. Toujours la même chanson. Au début, c’était beau, émouvant, on y prenait goût. Mais à la sept cent vingt-huitième répétition de l’attaque : Ah les voyages, aux rivages lointains, aux rêves incertains… , il a fallu prendre ses jambes à son cou - question de vie ou de mort. Cela a duré, duré, duré. J’ai prié longtemps, vêtue d’un cilice Yves Saint-Laurent, confite en dévotions, et la diva s’est tue. Ce qui prouve l’existence de Dieu et la prédominance de la mode.


Au cœur de la nuit, entre deux ronflements, le silence finit par s’installer. Je vais alors de pièce en pièce, je range ici et là, je tapote un coussin, je ramasse les miettes. L’espace résonne dans la maison devenue trop grande pour moi. Une inquiétude serpente ; et s’ils ne revenaient pas ? Vite, faire un gâteau, parfumer la chambre, repeindre les murs, changer les tableaux. Et s’ils ne revenaient pas ? Secouer les rideaux, effacer la poussière, trouver une histoire drôle, ou triste, ou belle. Et attendre, assise au salon, attendre leur retour. Ah ! S’ils ne revenaient pas ? Il n’y aurait plus qu’à éteindre les lumières, bien tirer les rideaux et fermer la porte derrière moi.




Peintures de fantômes japonais tirées de rouleaux exposés au temple Zenshoan.



lundi 1 mars 2010

Naissance d'une histoire

C'est curieux parfois, la génèse d'un texte. D'abord, il y a l'envie. Une envie d'écrire irrépressible, de raconter quelque chose, une histoire; même si l'on ne sait pas bien laquelle. L'idée traîne quelque part, au fin fond de votre esprit. Tantôt elle émerge, flotte entre deux eaux; tantôt elle disparait, se terre, cachée sous d'autres pensées du moment, tout aussi éphémères.
Un matin, ou un soir, l'idée vous apparait, trés claire, évidente. Sortie de sa chrysalide, elle a pris la forme d'un sujet de nouvelle.
Certains textes s'écrivent ainsi, d'un jet, en une heure, sur le coin de la table de cuisine, au sortir du petit déjeuner, le café noir fumant encore dans votre bol.
D'autres viennnent plus lentement, cherchent leur chemin. Cent fois vous vous les racontez mentalement. A chaque fois, un nouveau détail, un changement de décors, un autre angle de vue. A chaque fois, vous sentez un trésaillement, une secousse, vous cherchez des yeux, affolé par l'iminence de l'Instant, le stylo et la feuille de papier. Mais non... Il manque encore quelque chose. Ce sera pour la prochaine fois. Dans le bol, le café a tiédi...
J'avais, depuis longtemps, envie d'écrire une nouvelle sur la naissance. Mais comment faire pour être juste lorsque l'on est un homme? Doit-on renoncer parce l'on ne connaîtra jamais l'expérience de l'enfantement?
Je n'ai pas retenu la nouvelle qui suit pour figurer dans l'un des deux recueils que j'ai publiés; je ne l'ai pas non plus proposée à un concours ni à une revue spécialisée. Elle ne me satisfaisait pas. Il y manquait cette part de mystère qui m'impressionnait tant lorsque je regardais le ventre de ma compagne s'arrondir. Un mystère dont je me sentais écarté. Et c'était bien cela que je voulais transmettre au lecteur: le sentiment d'être un témoin impuissant d'un évènement hors de son champ de compréhension.
"La belle aux abois, dormant" date de 2000 ou 2001. J'ai attendu quelques années de plus pour aborder une nouvelle fois le même thème, d'un point de vue, disons plus radical, dans "Moi, 009". Un texte qui figure en bonne place dans mon premier recueil et que vous retrouverez à la suite de:


La Belle aux abois, dormant



Il s’éveilla et tendit l’oreille. Tout était calme. Sans doute dormait-elle encore. Il décida de rester quelques instants sans bouger pour ne pas l’éveiller.
Ces derniers temps, elle ne dormait vraiment pas beaucoup, comme si se laisser aller, ne rien faire, rester étendue l'angoissait au plus haut point.
Ces derniers temps, elle était nerveuse, bougeait sans cesse. Elle allait et venait dans toute la maison. Monter. Descendre. Monter encore. Descendre à nouveau. L’action semblait calmer son anxiété ; pour un temps, juste un tout petit temps.

Lui, aurait préféré qu’elle se tienne plus tranquille, qu’elle le laisse dormir. Toute la journée. Pourquoi pas?.. Bien au chaud, à l’abri de tout et du monde extérieur. Dormir. Oui, dormir. Et puis manger aussi, se laisser nourrir. De temps à autre, un peu d’exercice, comme ça, pour déplier ses membres, pour explorer les limites de son domaine, pour se prouver qu’on existe. Pour se prouver qu’on peut. Rapidement se fatiguer. Replier ses jambes, ses bras. Dormir.

Au début, elle l’avait laissé faire, et même, en un sens, elle l’avait encouragé. Ses gestes à elle, se faisaient lents, pleins de douceur. Elle pouvait rester des heures immobile, juste pour respecter son sommeil à lui.

Au début, elle dormait, elle aussi ; presque autant que lui.

Maintenant, elle ne dormait pratiquement plus ; ou alors mal. Et au fond de lui, ou, pour être plus précis, au fond d’elle-même, il se sentait un peu coupable.

Parfois, elle le tirait de son sommeil, et lui parlait durant de longs moments pour tenter de le convaincre.

-« Allons ! Viens ! Il te faut sortir maintenant. Tu verras, dehors, ce n’est pas si terrible que ça ! »

Il aurait bien voulu lui faire plaisir. Il aurait bien voulu sortir, abandonner son refuge pour la contenter. Pourtant, quelque chose l’incitait à ne pas bouger. Un quelque chose imperceptible; un léger, très léger trémolo dans sa voix quand elle lui disait qu’il allait sortir, que tout se passerait bien, qu’ils seraient heureux tous les deux.

Hier encore, il avait reconnu cette angoisse dans ses paroles et dans les battements de son cœur qui s’accéléraient. Un instant pris de panique, il avait donné de grands coups de pieds dans les parois trop étroites de son monde. Pour ne plus qu’elle parle. Pour qu’elle arrête de bouger. Pour qu’elle cesse de l’alimenter de sa propre peur.

A présent, il se sentait heureux et rassuré par son profond sommeil à elle. Et puis, il y avait cette résolution qu’il avait prise. Puisqu’elle le voulait, il le voulait aussi. Tout plutôt que de  sentir à nouveau cette peur irrationnelle de l’inconnu réduire son univers à une poche de terreur. Il était d’accord pour en finir avec ce jeu de cache-cache.

Doucement, légèrement, il donna quelques coups répétés et sut presque aussitôt qu’il avait été entendu.

De l’autre côté du monde, elle posa la main sur son ventre et sourit.
Demain, elle le mettrait au monde.


Moi, 009
in "Petit traité de savoir vivre à l'usage de ceux qui vont mourir" Editions Edilivre- Aparis 2008



Tout c’était bien passé jusque là. Mais, il le savait, le plus dur restait à venir. Il fit un dernier tour pour vérifier que tout était bien en ordre dans l’espace confiné et inaccessible où il s’était préparé depuis plusieurs mois. A moins que ce ne fût, dans un élan sentimental, une façon de dire au revoir à ce lieu qui l’avait couvé et qu’il allait quitter plus par devoir et nécessité que par réelle envie.

Quelle étrange sensation… Voilà des mois qu’il préparait cet instant ; il ne vivait que pour ça. Pourtant, à présent qu’il se trouvait au pied du mur, il sentait son cœur battre de plus en plus fort à la simple idée de devoir franchir le seuil et d’en partir à la rencontre de son contact. Car il y avait forcément quelqu’un pour l’attendre de l’autre côté. A quoi pouvait bien ressembler cet « autre » ? Il n’en avait pas la moindre idée. En fait, il n’avait que peu d’éléments qui puissent lui permettre d’anticiper sur ce qui se passerait ensuite.

L’essentiel de sa mission se bornait à passer de l’autre côté, quitter l’ombre pour la lumière. Ensuite, il devrait se mêler à la foule, se fondre en elle, apprendre les us et coutumes du monde de dehors.

Depuis le temps qu’il était là, au bord, en marge, il avait passé le plus clair de ses moments en interminables écoutes pour en apprendre un peu plus ; des écoutes souvent brouillées, confuses. Les conditions n’étaient pas toujours excellentes mais il fallait bien faire avec. S’adapter ; à chaque situation. Adaptation, voilà bien le maître mot. Il avait du s’adapter à l’espace qui lui avait été attribué. Comme toujours en pareils cas, les lieux au premier abord lui avaient parus confortables et spacieux ; puis le temps passant il s’était senti de plus en plus à l’étroit. A point que ces derniers jours il souffrait constamment de claustrophobie et avait de plus en plus de mal à trouver le sommeil.

Il avait également du s’adapter à la nourriture. Impossible dans sa situation de la choisir lui-même. Pour cela, il aurait fallu sortir; chose impensable, beaucoup trop risquée. Il n’était pas assez armé, ni suffisamment équipé pour affronter une telle situation. Sortir trop tôt c’était prendre le risque de compromettre le reste de l’aventure, voire de mettre sa vie en péril. Alors, une fois de plus, il s’adaptait. Aux excès de sucre, aux excès d’épices. A une occasion même il avait cru que quelqu’un avait souhaité attenter à sa vie. Cette fois là, comme toutes les autres, il ne s’était pas méfié quand sa ration de nourriture envoyée par son contact était arrivée par le long tuyau semi opaque. Toute la finalité de sa mission reposait sur la confiance ; celle portée à ses propres capacités à réussir, mais aussi et surtout celle donnée à son principal interlocuteur de l’autre côté. Or, quelques instants plus tard, il avait senti de violent spasmes secouer son estomac. Des soubresauts incontrôlables qui avaient perduré pendant de longues minutes. Chose inquiétante, de l’autre côté, il avait cru entendre son contact rire et prononcer des propos rendus indéchiffrables du fait d’une utilisation anormale de la gamme des aigus. L’avait-on trahi ? Les plans étaient-ils changés ? La mission annulée sans qu’on l’en ait informé ? Tout ceci paraissait impensable. Aussi improbable que l’échec et son unique corollaire, la mort, qui le guettaient depuis le début et dont il savait qu’ils ne renonceraient qu’à la fin. Et encore, de façon momentanée seulement… Pendant tous ces longs mois il avait dû garder à l’esprit, pour sa propre sécurité, que tout serait constamment mis en œuvre par des forces ennemies pour attenter à ses jours : accidents, empoisonnements divers, infiltration de virus aussi variés que redoutables… Et son contact, de l’autre côté, ne pouvait qu’en partie veiller à sa sécurité, même si c’était avec une volonté farouche qui forçait l’admiration.

Mais à part quelques incidents tout s’était pourtant bien passé jusqu’à présent. Les épreuves de sélection n’avaient pas menti ; il était bien l’élément idéal pour tenter la mission et il en éprouvait une certaine fierté. Bien sûr, il n’oubliait pas le rôle déterminant du contact dans cette réussite. Il éprouvait même à son égard un sentiment très fort, à la fois indéfinissable et confus. Tapis dans son repère il guettait le moment où ils entraient tous les deux en communication. C’était d’abord la chaleur de sa présence de l’autre côté de la cloison. Il la devinait avant même que l’autre n’effleure discrètement la paroi, avant même que les premières paroles dans ce dialecte qu’il ne connaissait pas encore ne soient prononcées. Il en comprenait toutefois le sens dans la plupart des cas. Des propos qui, à défaut de lui donner des informations bien précises sur la situation au dehors et la marche à suivre, le rassuraient et gommaient les appréhensions qui l’assaillaient parfois.

Il le savait bien ; de sa réussite dépendait aussi en partie la survie de son contact. Il fallait être fin prêt le moment venu. Il s’astreignait donc régulièrement à des séances d’exercices physiques, mobilisaient toutes les parties de son corps, les contraignaient à lui obéir avec une totale efficacité. Tous ces mois d’entraînement avaient fini par porter leurs fruits. Aujourd’hui, il se savait opérationnel. Aujourd’hui il quitterait sa cache et passerait à la deuxième phase de sa mission.

Le terrain des opérations avait d’ailleurs subi les ménagements nécessaires ces dernières heures. Dans ces dernières écoutes il avait surpris beaucoup d’effervescence et d’agitation de l’autre côté. Une agitation qui virait au tumulte dans les derniers moments ; les parois de son antre en étaient elles même affectées et tremblaient à intervalles de plus en plus réguliers. Au dehors, il captait un martèlement sourd et régulier, inquiétant.

Soudain pris d’un mauvais pressentiment, il tenta d’établir la communication avec son contact. En vain. Il se retrouvait seul dans un environnement devenu hostile et qui menaçait de s’effondrer sur lui à chaque instant.

S’il savait que le plus dur restait à faire, il n’avait toutefois pas imaginé subir de tels assauts au moment de sortir.

Il n’y avait plus un instant à perdre. Il se rua vers la sortie. Dans la confusion, le tuyau servant à son alimentation s’enroula autour de son cou sans qu’il s’en aperçoive immédiatement. Mais quand il poussa de la tête et des épaules pour se dégager un passage vers l’extérieur il se sentit étranglé. Il réessaya plusieurs fois ; à chaque fois la situation empirait. Son cœur battait à tout rompre alors même que la conscience de son environnement semblait lui échapper. Allait-il échouer si près du but ?

Dans le vacarme qui formait à présent son univers il perçut des voix et par-dessus ces voix il distingua les cris de plus en plus distincts et réguliers de son contact. Il l’entraînait dans son échec.

Alors dans un ultime sursaut d’énergie il opéra une rotation sur lui-même. Par chance, l’étreinte autour de son cou se relâcha aussitôt. Sans hésiter davantage il fonça tête la première vers l’extérieur. Enfin, il allait voir son contact.

Il se sentit soudain fermement saisi par les épaules et tiré vers l’autre côté. Une vive lumière envahit l’espace ; une douleur épouvantable entra dans sa bouche et coula le long de sa gorge, brûlant tout sur son passage. Il poussa un cri désespéré, songeant qu’il allait mourir.

Il venait de naître.



mardi 23 février 2010

Accusé de déception

Andy Wharol prétendait que chacun d’entre nous est amené, au cours de son existence, à connaître son quart d’heure de gloire. Le mien vint sans doute un jour de juin 1987. C’est du moins ce que je pouvais être en droit de croire alors…



J’allais avoir 25 ans. J’étais étudiant en Lettres Modernes et surveillant d’internat dans un collège aux confins du Tarn. Je venais de vivre une séparation douloureuse et j’étais amoureux d’une belle et énigmatique camarade d’université sous les fenêtres de laquelle – elle logeait dans un foyer tenu par des sœurs- j’allais nuitamment siffler des airs d’opéra pour essayer d’infléchir ses sentiments à mon égard. En vain et sans illusion aucune…



Je tournais en rond et ma vie, elle, ne tournait pas rond. Je n’avais aucune perspective professionnelle à laquelle me raccrocher. Je vivais seul avec mon chat – baptisé "Sartre" à cause du strabisme divergent dont il était affublé quand je l’avais adopté – et traînais ma mélancolie entre mon appartement sous les toits et les bancs de l’université. J’occupais mon temps libre en conjuguant quatre activités principales : lire, écrire, courir et écouter de la musique classique.



A cette époque là, une revue mensuelle entièrement consacrée à la nouvelle fit son apparition dans les kiosques. « N comme Nouvelles » coûtait la coquette somme de 30 francs, mais l’occasion était alors si rare de lire ce genre de magazine et de pouvoir lui envoyer des textes que je faisais ce sacrifice mensuel sur mon faible budget d’étudiant. Je soumis plusieurs textes au comité de lecture, sans succès. Et un jour, la revue proposa un concours de nouvelles sur le thème du « crime parfait ».



Sur le coup, je décidai de ne pas concourir. Le polar et la littérature noire étaient alors considérés comme des genres mineurs, de la sous littérature, surtout pour un étudiant de Lettres Modernes rêvant d’être promis à un glorieux avenir d'écrivain…. Je l’avoue : j’étais alors un jeune prétentieux empli de... prétentions.



Mais, après avoir lu le courrier des lecteurs de la revue, je me ravisai car je venais d’y trouver le matériau idéal. Un auteur, encore plus prétentieux que je ne l’étais alors s’y plaignait de ne pas voir son talent reconnu. Je n’avais plus qu’à extrapoler. Et pour parfaire ce qui, à mes yeux n’était qu’une aimable pochade, après avoir tapé à la machine sur du papier très fin le texte qui suit, je l’envoyai en recommandé avec accusé de réception au rédacteur en chef de « N comme nouvelles »



Les semaines, les mois s’écoulèrent et j’oubliai le concours. Il faut dire que je m’étais alors trouvé une autre occupation : Pour fêter mon quart de siècle approchant – et au cours duquel je n’avais strictement rien fait de ma vie, il faut tout de même le souligner – j’avais décidé de courir en solitaire de Toulouse à… Gibraltar, soit 1600 km en plein cœur de l’Espagne et en été avec des étapes quotidiennes allant de 35 à 70 km. Un pari d’autant plus fou et inconscient que je n’avais jamais jusque là parcouru plus longue distance que mes 8 à 10km  quotidiens à tourner en rond dans le Jardin des plantes à côté de chez moi…



Je préparais donc mon futur périple, une première à l’époque, en faisant le tour des sponsors éventuels et des médias. J’oubliais juste de m’entraîner… La presse relaya assez bien mon projet, si bien qu’un matin, le facteur sonna à ma porte pour m’apporter un télégramme émanant du secrétariat de… Nicolas Hulot ! Le journaliste préparait alors la première de son émission culte, « Ushuaia » et recherchait des sujets. Il n’y eut pas de suite, mais sur le coup j’étais assez fier, ou pour être plus exact, fier comme un paon.



Ce même jour, pendant que j’étudiais les cartes détaillées du réseau routier espagnol, mon téléphone sonna. C’était la rédaction de « N comme nouvelles ». Mon texte et les conditions de son arrivée au siège de la revue avait fait rire tout le monde : « Notre jury n’a pu se retenir de décerner à un quatrième auteur (il n’y avait que trois lauréats dans le règlement initial), Denis Sigur, pour son humour corrosif, une exceptionnelle « mention spéciale » (…) Ultime précision : la mention spéciale que notre jury unanime (rédacteur en chef compris) lui a décernée, ne doit bien sûr rien à un odieux chantage qu’il aurait exercé… Reste que son idée empoisonnante lui ait venue à la lecture du… « Courrier des lecteurs de N. ». Je reçus un chèque de 500 francs, une jolie somme à l’époque; puis je me lançai sur la route de Gibraltar…




Le numéro 11 de la revue parut en juillet, mon texte figurant en bonne place, pendant que je parcourais le bitume fondu des routes de la Mancha, pathétique Quijote en quête de la gloire pour éblouir son inaccessible étoile. Il n’y eut jamais de numéro 12. La revue cessa d’exister juste après.
Quant à moi, j’atteignais ma destination 31 jours plus tard, dans le plus total anonymat, amaigri ( J’ai laissé 12 kg dans l’aventure…), épuisé, ruiné (je mis plus de cinq ans à rembourser le découvert engendré pour financer le raid) et avec l’étrange sentiment de n’être qu’un singe de plus parmi la colonie de quarante spécimens peuplant le rocher de Sa Majesté Britannique. Mais ça, c’est une autre histoire….


Accusé de réception



Monsieur le Rédacteur en Chef,

J’ai pris connaissance du concours de nouvelles que votre revue organise sur le thème du crime parfait et je vous envoie cette lettre en recommandé avec accusé de réception pour être bien certain que vous la lisiez vous-même. Car je ne suis pas né de la dernière pluie – oh ça non ! - et je connais par cœur toutes vos combines, à vous les éditeurs, toutes vos machinations, vos manipulations d’auteurs dans le seul but de gagner de l’argent, encore et toujours de l’argent.

Le talent, le vrai, vous vous en fichez éperdument. Vous traitez les auteurs avec mépris sans jamais tenir compte de leurs qualités et même parfois, comme ce fut le cas avec moi, de leur génie.

Mon nom ne vous dit sûrement rien - n’est-ce pas ? – ce qui prouve bien votre manque d’intérêt pour tous les textes que l’on vous envoie. Allons, avouez-le, vous n’avez jamais lu une seule de toutes les nouvelles que je vous ai fait parvenir. Jamais ! Et pourtant, j’ai du talent. Du génie, même. Je suis l’héritier spirituel d’Henry James et de Marguerite Duras, la synthèse de Katawaba et e Montaigne. Je suis peut-être, que dis-je, certainement, le plus grand génie de la littérature de ce siècle et des siècles à venir.

Mais vous, en dépit de cela, vous persistez à ignorer mon œuvre, préférant publier de petits écrivains minables et inconnus, des gens sûrement bien placés et dont le seul talent consiste à avoir des amis capables de financer votre journal.

Il est temps pour moi, cher Rédacteur en Chef, de vous donner une petite leçon et de vous montrer à quel point vous vous êtes trompé sur mon compte jusqu’à présent.

Je ne vous enverrai pas de nouvelle cette fois-ci et je ne participerai pas non plus à votre concours ; ma place dans la vie littéraire à venir est bien trop importante pour que je m’abaisse à ce point.

Cependant, je veux vous démontrer combien il m’aurait été facile de gagner ce concours, si j’avais voulu. Un jeu d’enfant à vrai dire.

Avez-vous remarqué combien ce papier à lettre est fin ? Si fin même que vous avez été obligé à plusieurs reprises d’humecter vos doigts sur vos lèvres pour pouvoir en séparer les feuillets. Est-ce que je me trompe ? Non. Alors continuons, voulez-vous ? Vous allez voir ; c’est très intéressant. En fait, chaque feuillet de cette lettre est recouvert d’une pellicule de poison capable de tuer un bœuf. Rassurez-vous, cette potion, que j’ai ramenée d’Amérique du Sud est absolument indolore et ne laisse aucune trace. Vous ne souffrirez donc pas et les médecins concluront certainement à un arrêt cardiaque.

Quant à ma lettre, il n’en subsistera aucune trace après votre décès. Elle est, voyez-vous, écrite à l’aide d’une encre qui a l’extraordinaire particularité de se désagréger au bout de quelques instants au contact de la lumière. D’ailleurs, si vous avez des doutes, vous pouvez vérifier sur les feuillets que vous avez certainement déposés sur votre bureau. Allez, jetez un coup d’œil puisque vous ne me croyez pas…

Alors, n’avais-je point raison ? Hé oui ! Vous allez mourir, cher Rédacteur en Chef, et personne ne soupçonnera le meurtre que je viens de commettre !

Toute tentative de résistance serait vaine. Si mes calculs sont exacts, et ils le sont certainement, à cette heure-ci vous êtes absolument seul dans votre grande maison ; et puis vous devez sans doute être envahi depuis un petit moment par une torpeur grandissante qui vous tient cloué dans votre fauteuil.

Vous avez toujours refusé de me considérer comme un écrivain de génie. Avouez au moins que je suis un parfait criminel.

Adieu cher Rédacteur en Chef

Très cordialement

B.L.H

lundi 22 février 2010

Les chroniques de Cyrano

Voici un peu plus d'un an, j'ai accepté de tenir une chronique dans le mensuel protestant du Sud-Ouest "Ensemble". L'on m'y donnait carte blanche pour y écrire un billet d'humeur, une chronique hasardeuse, le nez au vent, sur ce qui me passerait par la tête.  Une invitation faite aprés la publication du "Petit traité de savoir vivre à l'usage de ceux qui vont mourir" dont la teneur, l'humour, l'ironie avaient été appréciés par plusieurs membres de la rédaction du mensuel. C'était risqué de leur part; d'autant plus qu'aucune contrainte ayant trait à la religion, ni aucune référence aux textes bibliques n'étaient exigées. Mais n'est-ce pas cela, au fond, une vraie carte blanche? Ceci dit cette toute puissante liberté avait aussi pour moi quelque chose de terrifiant. J'avais un peu l'impression qu'on me demandait de faire une numéro de trapèze sans filet et sans trop savoir ce que l'on attendait de moi. Je savais que je n'avais pas grand-chose à craindre si ce n'est de moi-même. Je connaissais l'ouverture d'esprit, la tolérance et le sens de l'humour qui caractérisent l'Eglise Réformée auxquels j'ai depuis rendu hommage à la fin de "Crises de foi". Bref, je me suis lancé vaille que vaille, sous le nom de plume de Cyrano et, ma foi (!), ce rendez-vous mensuel est devenu un exercice de style des plus plaisants. Le ton y est volontairement laïque, les sujets semblent tirés d'un inventaire à la Prévert...
Je voulais aujourd'hui vous en proposer un extrait:


Chronique vide de sens


« Mon capitaine disait que tout ce qui nous advient de bien ou de mal ici bas est écrit là-haut, sur le grand rouleau ». C’est à peu près ce que rappelle Jacques, mon ami Jacques*, ce diable d’homme, à qui veut bien l’entendre.

Je pense que c’est vrai. Fondamentalement vrai. La vie est comme un grand arbre dont chaque branche, chaque rameau, chaque pousse mène vers le Ciel. Le choix de telle ou telle branche importe peu à l’écureuil qui veut grimper jusqu’au faîte de l’arbre. Bien sûr, il y a toujours les accidents de la vie, les mauvais choix possible pour atteindre l’inaccessible étoile. « Donnez-moi quatre planche pour me faire un cercueil/ Il est tombé d’la branche le gentil écureuil » chantait Trenet…

Tout n’est qu’illusion. Tout n’est que chimère, et comme disent les bouddhistes, la Forme est vide et le Vide est forme…

Et nous là dedans ? Pauvres humains qui croyons être maîtres de notre destin ! On pense construire et certains s’aventurent même à construire des systèmes de pensée… Nous ne sommes pourtant que des bulles de savon, promenées, baladées dans l’espace du Vide que nous engendrons. Le monde, notre monde, celui que notre société s’est construit, celui de la communication à tous vents, du téléphone portable, de Facebook, du numérique, du tout technologique, du pathétique à l’étique plastique… Ce monde là n’est qu’un vaste espace creux. Et nous, pauvres bulles qui voletons à l’intérieur, nous ne sommes nous même constitués que de vide. Lorsque ces bulles disparaissent, lorsqu’elles éclatent, tout, absolument tout, retourne au néant originel comme un tube cathodique qui rend l’âme. Pfuittt….

J’ai beau essayer donc, de me pencher sur un avenir quelconque, d’avoir la pré-science de ce qui pourrait advenir dans les minutes ou les jours à venir, je ne vois rien, je ne sens rien, je n’imagine rien…

Et soudain, je sens un poids sur ma poitrine qui m’oppresse ; comme une énorme, une massive bulle de savon qui grandirait et finirait par m’écraser…

Quelle ironie du sort ! Mourir écrasé par une masse de vide ! Voilà qui est tout à fait scientifiquement incorrect !

Mais je délire ; tout ceci, me direz-vous, n’a pas de sens. Tiens, cela me fait penser qu’il y a une vingtaine d’années j’avais écrit une nouvelle débutant par cette phrase : « La vie n’avait pas de sens ; Par conséquent, en descendant du bus, il ne savait pas vraiment quelle direction prendre ».

Le non sens, le sens de l’absurde… Et si, finalement, c’était cela, cet improbable sixième sens dont le Fantastique nous rabat les oreilles ?

Cyrano

* « Jacques le fataliste », Denis Diderot

vendredi 12 février 2010

Territoires de l'Inconscient

Le texte suivant date du début des années 2000. Il fut écrit lors d'un atelier de la Boutique d'écriture du Grand Toulouse, alors animé par Serge Vizzini. J'ai toujours tendance à croire que ce que j'écris n'est pas autobiographique; pourtant en parcourant ce texte que je n'avais pas relu depuis longtemps je m'aperçois que ce n'est pas complètement vrai. On laisse toujours une petite part de soi, consciement ou pas dans ce que l'on écrit."Dans la pénombre" ne raconte pas d'histoire à proprement parler; c'est plutôt un exercice de style. Je ne me souviens plus quelle était exactement la consigne donnée... Mais en le relisant il m'apparait évident que la maison dont je parle dans ce texte est le reflet de celle que je venais d'acheter alors, quelque part dans les Pyrénées, entre Foix et Montségur, face au chateau cathare de Roquefixade. C'était - et c'est toujours -  une toute petite habitation de 25m2 au sol, composée d'une pièce à vivre avec évier et cheminée et d'un étage nu. Il s'agissait  d'un pied à terre que d'une véritable habitation et chaque fois que je venais là il y avait toujours quelque chose à réparer. D'ailleurs, la "gouttière exangue" est authentique ! Depuis la maison a changé et s'est dotée de tout le confort nécessaire. Elle cultive même ce paradoxe d'être certainement la plus petite habitation du village tout en étant celle qui compte le plus grand nombre de couchages (Dix !). j'aime cette maison comme un part de moi-même; loin de tout (pas de télévision, pas d'internet et pour téléphoner il faut monter sur la colline!) et près du Ciel. Parfois, en feuilletant le magazine "Lire" je découvre l'antre sacré de tel ou tel écrivain. A vrai dire, mon petit "Cabillet" n'a rien à leur envier. Même si j'ai encore de temps à autre une petite fuite sur le toit pour me causer quelques soucis.
L'enfant dont parle ce texte est un mélange de mes deux fils aînés, Adrien et Antoine, qui avaient 6 et 4 ans à l'époque et sortaient toujours sans être assez couverts comme tous les enfants, du reste (Si je me souviens d'une phrase que m'a serinée mon père quand j'étais gosse, c'est bien: "Mets ta veste si tu sors !") et de la fragilité de mon dernier né de l'époque, Axel, six ou huit mois à peine, dont je surveillais le sommeil dans la pièce du haut...
A part ça, "Dans la pénombre" est un texte de pure fiction et toute ressemblance, blablabla....





Dans la pénombre

Penché sur toi, je retiens mon souffle. Rien ne bouge. La pénombre m’empêche de discerner ton corps. Es-tu seulement là ? Lentement, sans bouger, j’apprivoise la raison et chasse avec peine l’angoisse d’une idée folle: Et si tu n’étais plus ? Si la nuit t’avait emporté ? Mais non! Je parviens enfin à capter le mince filet de ta respiration, comme l’homme sur le point de se noyer réussit à empoigner une racine de la berge. Aussitôt, l'angoisse s'évapore.

J’écoute avec bonheur ce bruissement léger, ce souffle aussi ténu que celui de la brise faisant trembler les branches du grand saule pleureur penché sur la rivière.

Je m’incline un peu plus. Une larme glisse sur ma joue, tombe prés de toi avec un "toc" malicieux et furtif. J’imagine que cette infime parcelle d’océan s’est écrasée sur un objet de carton ou de plastique. Un jouet ? La couverture d’un livre ? Mon esprit, distrait de ses angoisses s’acharne à démasquer l’intrus caché dans ton lit. Toc. Le même sonc que celui qui, cet après-midi encore, mettait à rude épreuve mes tentatives de lecture...

Une bûche sans doute trop humide chuintait tandis que les flammes léchaient son écorce ; Les galeries creusées par les termites craquaient dans des crépitements sans lendemain. Je tournai mon regard vers la fenêtre aux rideaux tendus sur l’opacité de la fin du jour. De la pluie, je ne percevais que le tambourinement incessant de la gouttière exsangue se déversant sur le trottoir.

Et puis, au-dessus de ma tête, ce toc-toc-toc pernicieux sur le sol du grenier. Une fuite dans la toiture ! Je tendis l’oreille vers la source du bruit. Le choc sourd de l’eau sur la lame de bois du plafond de l'étage se fit entendre plus à gauche. Où était-elle, bon dieu, cette brèche dans la coque de mon arche fragile ? Je sentais mon cœur s'emballer ; il fallait au plus vite situer l’ennemi pour mieux le combattre. Je refermai dans un claquement étouffé du papier le livre sur mes genoux, et coeur et corps aux aguets, je me mis à guetter, le regard au plafond.

Alors, comme pour me narguer, le toc lancinant et irrégulier se transforma en tac-tac-tac régulier semblant dire : « je suis là ! Je suis là ! Je suis là ! ».

Soudain, la porte d'entrée, gonflée par l’humidité, s’est ouverte avec le fracas d’un raclement aïgu sur la pierre du seuil. Tu es entré, riant aux éclats pour venir t’ébrouer au milieu de la pièce. Tes vêtements détrempés clapotaient sur les tomettes délavées.

J’aurais du me fâcher, te gronder, te dire : « Stupide enfant ! Tu vas prendre froid ! » Mais ton rire joyeux faisait taire toute autre pensée que la tendresse. J'en oubliais mon rôle de père.

Je t’ai serré dans mes bras, sans un mot. Sur nos cœurs qui battaient à l’unisson, le silence est retombé comme une gaze sur les dernières parcelles du jour. Mais dans le recueillement qui  suivit, j’ai surpris un claquement de dents ; la fièvre n’allait-elle pas venir te surprendre au milieu de la nuit ?...

Penché sur toi je respire ton souffle et me berce de ce bruit pareil à celui des vagues sur une plage lointaine.

L’orage est passé. Dans la pénombre, j’entends encore une fois le toc d’une goutte retardataire tombée de la toiture.

Penché sur toi, dans un souffle, je murmure un  «Je t'aime.» à ton oreille invisible.

mercredi 3 février 2010

Lorsque l'enfant était enfant...

Je ne m'aventure que très rarement en terre de Poésie. C'est, pour moi, un art bien délicat et subjectif dans lequel il est plus facile d'écrire de mauvaises choses que de créer des images dignes de susciter des émotions. Difficile de ne pas tomber dans le cliché, la mièvrerie, la rimaille vaille que vaille. D'ailleurs, je n'apprécie pas la poésie où la rime fait office de loi et se retrouve sans surprise tout au long du texte comme les bornes kilométriques sur une autoroute. Lorsque je lis ou que j'écoute un texte poétique, j'aime que la rime me rappelle un autre mot, comme un écho, le fugace souvenir d'un mot rencontré quelque part sur la route empruntée. Un peu comme dans un voyage au cours duquel la soudaine vision d'un paysage vous fait songer que vous l'avez déjà vécu, que vous êtes déjà passé là, juste avant que cette sensation ne disparaisse tout aussi brusquement qu'elle était venue.
Malgré tout, il m'arrive donc parfois de tenter quelques incursions en ces terres étrangères. Je vous propose ce texte, Toboggan, parce qu'il fait, à mon sens, écho à la nouvelle "Sinfonia".

Pour l'anecdote, "Toboggan" a reçu le deuxième prix du concours de poésie de la Ville de Toulouse en 2006, dans le cadre du Marathon des mots.
La nostalgie des territoires de l'enfance, le regard posé par l'adulte sur ce monde quitté de force et désormais inaccessible... Je me souviens de l'émotion, toujours intacte encore aujourd'hui, lorsque j'entendis pour la première fois, le magnifique texte de Peter Handke, "Lied vom kindsein" en ouverture du film de W. Wenders, "Les ailes du désir": "Als das Kind Kind war..." comme une mélopée dite par une voix d'homme, grave et emplie de tendresse pour cet enfant qu'il a été. Je ne parle pas allemand, ni ne comprend cette langue mais je ne me lasse pas d'entendre ce texte. Bien sûr, depuis j'ai trouvé sa traduction et compris son sens. Je n'en suis que plus captivé par sa mélodieuse ritournelle...



TOBOGGAN


Une rue, un jardin de quartier
Du toboggan
Comme d’une plaie au côté
Coulent des myriades d’enfants
Qui se laissent glisser
Dans des rires insouciants
Descendus du ciel à la terre
Comme la lave du volcan
Anges crachés des enfers
Flocons de cendre et duvet blanc.
Ils se relèvent, ahuris
Et se frottent le derrière
Pour plonger dans un cri de furie
Sur les chevaux à bascule
Équidés sans esprit d’équité
Et tout quitter
Pour partir à la guerre.
Ils s’assoient sur ce monde qui vacille
Innocence fragile et crédule
Quand tout n’est que matière
Matière à penser
Pour panser les plaies
De la chair à canons, de la chair à pâté
Si loin des pâtés de sables
Et des ronds tourniquets
Si loin qu’on dirait une fable
Dont on peut se moquer.

Un jour, on saute à la corde
L’autre, on va se pendre.
On ne sait jamais rien des lendemains qui mordent
On sait seulement qu’on doit s’y attendre.
Et cela fait de nous
Des êtres vieux aux cœurs méchants
Qui laissent filer sur le toboggan
Des vies qui les ont mis à genoux

Quand vient le soir, que la nuit tombe
C’est faute d’espoir que l’on succombe
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