Le Blog de Denis Sigur

Le Blog de Denis Sigur

mercredi 27 janvier 2010

Nouvelle inédite

Voici un texte qui traîne depuis cinq ans dans mes tiroirs; il fut commencé en atelier d'écriture autour d'un tableau d'Edward Hopper. J'aime énormément ce peintre et je me sers assez souvent de ses toiles comme support de proposition d'écriture lorsque j'anime un atelier. Si vous êtes en panne d'idée pour écrire un texte, choisissez un tableau d'Hopper, regardez-le longuement, et vous verrez que les personnages finissent toujours par vous raconter un bout de leur histoire...

C'est tant de malheur


" Tu es là, immobile, image impavide d’une vie lisse et glacée ; C’est étrange comme la douleur sur ton visage paraît presque sans âge.
Sur le plateau de marbre de la table du bistrot, tu as posé ta tasse de café et tu guettes ton improbable avenir, paupières à demi closes, dans les sombres spirales du breuvage encore tiède. Que cherches-tu ? Quelle dérive pleinement assumée as-tu laissée te guider jusque dans ce bar lugubre et désert où tu gis par quatre vingt mètres de fond dans l’océan de tes regrets ? Face à toi, je t’observe à la dérobée et je te trouve si pareillement dissemblable à moi.
Doucement, une larme furtive coule le long de ta joue sans que la moindre parcelle de ton visage ne tressaille et je m’en étonne, m’en émeus au point de laisser choir moi aussi une larme sur le dos de ma main. Sont-ce les derniers lambeaux de ton âme qui s’exhalent de toi à travers elles ? Et ton corps, peu à peu, se figera-t-il dans la même consistance de marbre que le plateau de la table sur lequel s’appuient tes avant-bras ?
Pourtant, tu es belle ; C’est du moins ce que j’ai toujours cru à force d’entendre dire que tu étais jolie. Te souviens-tu ? Nous courrions l’une vers l’autre, pour vérifier que le compliment était vrai. Comme nous aimions à rester de longs moments face à face, scrutant d’un regard critique nos visages pour y traquer le moindre défaut, refaisant nos coiffures d’une main experte et nerveuse. Te souviens-tu de ces baisers rieurs que nous nous envoyions à l’instant de nous quitter, lorsque le klaxon impatient d’une voiture se faisait entendre devant la porte d’entrée ?
D’où vient donc ta tristesse ? Où donc s’est enfuie la cause de mes tourments ? Sans doute aurions-nous dû ne jamais faire confiance qu’à nous même. Si je ne t’avais pas abandonnée, si je ne t’avais pas trahie en allant chercher dans les yeux de cet homme la preuve de mon existence, peut-être ne lui aurais-je pas permis, alors, de m’assassiner et de te condamner à disparaître, d’un regard simplement détourné. Depuis qu’il est parti, j’ai beau t’observer, comme je le fais en ce moment même, je ne vois plus en toi que l’ombre de moi-même.
Tu songes – ou bien est-ce ma propre pensée que je t’attribue ? – que « La Douleur pétrifiée » serait un joli titre pour le tableau dont tu occupes momentanément l’espace limité, si étroitement limité, par le cadre de bois brut. Comme si ta vie brutalement ne se résumait plus qu’à cette dimension de trompe l’œil.
Et je sais que tu te dis :
-« On dirait l’Absinthe, ce tableau de Renoir. »
En écho à tes pensées, je réponds :
-« Pour moi, c’est plutôt L’Absente dans le miroir. »
A ces mots silencieux tu redresses la tête et nous échangeons un très vague et siamois sourire de compassion.
Je me dis que tu as de la chance, bien plus de chance que moi ; Tu ne vis ta peine que depuis que nous sommes entrées toutes les deux dans ce café. Moi, voilà prés de vingt jours que je traîne ma vie en évitant de te rencontrer pour ne pas voir ma déchéance dans ton regard. Toi, lorsque je me lèverai pour sortir, tu disparaîtras, sans laisser de trace, sans doute à tout jamais, comme effacée de cette vie sans teint qui est désormais la notre. Tu laisseras la place à d’autres histoires, d’autres joies, d’autres détresses, toutes plus anonymes et muettes les unes que les autres.
Tu n’es plus qu’un reflet dans le miroir. Je te regarde une dernière fois, contemple ce visage qui trahit la moindre de mes pensées. Comme en écho, je lis sur tes traits défaits l’effet de ce mirage auquel j’ai tant voulu croire. Je ne peux plus rien espérer de toi.
J’ai trop attendu de lui. Il ne surgira pas pour m’arracher au destin que ton regard impassible semble d’ors et déjà avoir scellé pour moi. Non, il ne viendra plus se placer entre nous ; il ne s’assiéra pas sur la banquette au cuir élimé en te tournant le dos ; il n’ancrera plus ses yeux dans les miens sans même un regard pour toi. Sous tes paupières à demi closes, je devine tes espoirs comblés. C’est à moi maintenant qu’il a tourné le dos. Notre naufrage est ton ultime triomphe.
Je rassemble mes dernières forces pour quitter le café. Il faudra beaucoup de courage à ce corps fatigué pour se traîner jusqu’au bord du trottoir le plus proche et abandonner cette vie que je devine au bord de tes lèvres, comme un dernier adieu.
Il n’y a plus rien à dire. Nous le savons toutes deux. Un pas sur le côté et tu sortiras de mon champ de vision. Un pas, et je sortirai de ma vie. Un faux pas de plus, le dernier, que ni l’une ni l’autre ne tentera d’empêcher. Tu es prête à me laisser partir. Il n’y a rien qui puisse rompre la glace entre nous. Rien. Si ce n’est cette haine soudaine que je ressens pour toi, ton hypocrite tendresse à laquelle tu voudrais tant que je crois, ta feinte compassion donnée en pâture aux regards indiscrets des clients anonymes, ton aveugle jalousie qui a tout détruit. Je te hais ! Je te hais tu m’entends ?
Mon bras se tend, poing crispé, les ongles enfoncés dans la chair de ma main. Je projette toute ma rage sur toi. C’est tant de malheur… "

samedi 23 janvier 2010

Crises de foi



"Crises de foi" est né plus ou moins un an après le "Petit traité de savoir vivre...". Comme toujours, on cherche à reproduire l'intensité de la première fois, comme si l'on ignorait que ce ne sera jamais plus comme la première fois. Mais on veut y croire...



La logique de ce second recueil s'imposa avec moins d'évidence. Je cherchais dans mes textes une thématique commune qui puisse justifier de sa parution. Je n'avais pas envie de publier un recueil fait de bric et de broc dont le titre n'aurait été que le titre éponyme d'une des nouvelles. L'expérience de la première fois m'avait justement confirmé dans mon idée que la précipitation ne mènerait à rien de bon. J'ai donc relu l'ensemble des textes qui restaient dans mes tiroirs et j'ai finalement découvert cet élément fédérateur: la foi. La foi en Dieu, bien sûr, mais pas seulement. Il m'apparut rapidement que chaque personnage de ces nouvelles avait à un moment ou à un autre un problème de croyance, un choix à faire nécessitant d'accorder sa confiance à soi même ou à quelqu'un d'autre, à Dieu ou au destin...



"Crises de foi" avait l'avantage d'être un titre relativement court, moins indigeste (!) que le précédent. Qui plus est son double sens phonétique me convenait. Aujourd'hui, je suis un peu moins convaincu de sa pertinence. Après quelques mois, "Crises de foi" connaît un succès moindre que le "Petit traité..." et je crois en connaître la raison; visiblement beaucoup de lecteurs éventuels se laissent rebouter par ce titre qui leur fait croire (justement) qu'il s'agit ni plus ni moins d'un livre traitant de religion (s). Et ce thème là ne semble pas être en odeur de sainteté auprès des lecteurs. La photo qui illustre "Crises de foi", finalement ne fait que conforter cette confusion. Mais comme le souligne la dernière phrase de la nouvelle qui ouvre le recueil, "Une certaine idée du bonheur": Trop tard, le mal était fait...



Pour parler de la photo, j'en suis aussi l'auteur et mon modèle n'est autre que l'un de mes fils, Antoine. J'aime faire de la photo; dans un amateurisme total, il faut le reconnaître et je suis loin d'en maîtriser toutes les techniques. Mais bon, je me contente de ce que je sais faire et je trouve que ce n'est déjà pas si mal. En l'occurrence, je voulais faire une série de photos évoquant l'ambiance des grands maîtres de la peinture du XVIIIième siècle: Fragonard, Boucher, Greuze, Jean Siméon Chardin...


Je demandai donc à Antoine de bien vouloir revêtir les habits 18ième que je porte lorsque je vais poser mon étal d'écrivain public sur les marchés et diverses autres animations; ce qu'il fit de bonne grâce. Je lui demandais précisément à lui, car avec ses cheveux longs, il m'avait toujours fait penser au tableau de Jean Siméon Chardin, "Le château de cartes".
Enfermés dans ma chambre, volets fermés, en essayant plusieurs éclairages indirects de fortunes (lampes de chevet, petits spots, veilleuse de bébé...) nous nous sommes évertués à trouver les pauses adéquates: Antoine en train de peindre face à un chevalet, Antoine en train de lire, Antoine en train de réfléchir...
Au bout d'une heure, Antoine commença à en avoir assez. Il perdit son sérieux et me demanda sur tout les tons d'interrompre la séance photo. C'est au cours d'une de ses pitreries, lorsqu'il me "pria" d'arrêter les photos que j'ai pris le cliché qui allait par la suite illustrer "Crises de foi". Ce qui est marrant, c'est que sur le coup, je pensais, comme pour le "Petit traité..." que ce cliché était raté, tout en le conservant. par la suite, il sut s'imposer lui aussi, comme une évidence.
Pour en revenir à "Crises de foi", il me semble que ce recueil est plus abouti dans la forme que le précédent: beaucoup moins de coquilles, exergues qui ne figuraient pas dans le "Petit traité...", remerciements en fin d'ouvrage... Pourtant cela ne suffit pas. Il lui manque ce petit quelque chose indéfinissable qui fait que le "Petit traité..." malgré toutes ses imperfections provoque davantage l'intérêt à priori des lecteurs. Une préférence qui s'est souvent confirmée après lecture: "J'ai bien aimé, me suis-je souvent entendu dire; mais je ne sais pas... J'ai préféré le premier...."
A bien y réfléchir, je crois que la faiblesse de "Crises de foi" vient du fait que les textes rassemblés pour le composer ont été écrits à des périodes parfois très éloignées les unes des autres. "La tournée du Père Noël" a été écrit dans les années 90 par exemple. Près de 15 ans le séparent de "Nagasaki mon amour". Ce n'était pas le cas pour le "Petit traité..." dont l'ensemble des textes s'échelonnaient sur cinq ans maximum. cela lui donnait-il une cohérence de style qui ne se retrouve pas dans "Crises de foi ?".
Seul le lecteur est juge....

vendredi 22 janvier 2010

Petit traité de savoir vivre à l'usage de ceux qui vont mourir

J'ai déjà dit et expliqué beaucoup de choses au sujet de ce livre. pourtant, en ouvrant ce Blog c'est bien à lui que je voudrais consacrer quelques lignes en premier. D'abord pour évoquer le bonheur que fut sa parution. Quand on écrit, que l'on écrit depuis longtemps en rêvant d'être publié, l'apparition de son livre, son existence dans les rayonnage des libraires, l'annonce de sa naissance dans les journaux, c'est quelque chose, un sentiment aussi fort, aussi puissant que celui d'être père pour la première fois. Et je sais de quoi je parle, moi qui suis quatre fois père...
J'aime ce recueil, de façon narcissique sans doute, parce que tout en lui vient de moi. Les textes, bien sûr aux milieu desquels la présence de "L'azur de mes ténèbres" s'est imposée comme une évidence, un peu malgré moi. J'avais réfléchi à l'agencement des nouvelles dans le recueil, plaçant en ouverture celle dédiée à la mémoire, "In memoriam" et en épilogue "Moi, 009" comme un souffle d'espoir, un clin d'oeil à la vie. Mais c'est à mon insu, inconsciemment que la seule nouvelle autobiographique, "L'azur de mes ténèbres", celle pour laquelle il me fallut 25 longues années de gestation avant de pouvoir l'écrire, est venu se placer exactement au centre du recueil...
J'aime le titre de ce recueil. Pourquoi m'en cacher? J'en suis très fier. Il s'est imposé à moi, sans que je sache au début ce que cela signifiait. Ce "Petit traité de savoir vivre à l'usage de ceux qui vont mourir" voletait dans mes pensées avant même que j'aie décidé de compiler ces histoires de mort pour les envoyer à un éditeur. C'était comme un appel. Comme la touche de couleur supplémentaire que le peintre sent devoir apporter sur sa toile, pour lui donner une autre dimension; un trait, une virgule de lumière....
Enfin la photo... Que de réactions opposées, divergentes, contradictoires à son sujet! Les uns la trouvant inquiétante, terrifiante, macabre (On m'a même trouvé un air de serial killer !)... Les autres employant les mots "géniale" "percutante" disant qu'il s'en dégageait une force, une puissance surnaturelle... J'ai entendu tout type de commentaires à son sujet, vraiment.
La vérité, c'est qu'au départ, il s'agit d'une photo ratée issue d'une longue série de clichés, d'autoportraits pris en souvenir d'une journée elle aussi ratée, "moisie" comme dirait mon Antoine de fils.... Ce jour-là, j'étais seul à la maison et je tournais en rond incapable de faire ou d'écrire quoi que ce soit. Et comme toujours dans ces cas là j'en vins à m'exaspérer moi -même. Je me traitais de nul, d'incapable, de bon à rien, de minable. Je faisais de l'autoflagellation. Déprimé, mal rasé, un oeil cerné de noir annonçant une migraine prochaine, j'ai croisé mon image dans le miroir. Je me suis dit: "Non mais tu t'es vu? T'as vu ta tronche ? Franchement tu mériterais qu'on immortalise ce moment pour te faire honte." Et c'est ce que j'ai fait. J'ai installé mon appareil photo sur son pied, réglé la luminosité, les contrastes pour bien traduire mon état d'esprit. Et une fois que tout fut pris j'entamais une longue série de portrait en regardant l'objectif droit dans les yeux si je puis dire. Le seul problème, c'était le retardateur. Je n'avais que quelques petites secondes pour aller m'installer et prendre la pause à partir du moment où je le déclenchais. Et un bon nombre de photos sortirent floues, mal cadrées, parmi lesquelles celle-ci. J'ignore pourquoi je l'ai gardée. Au départ, elle ne semblait pas en valoir la peine. Mais je l'ai gardée et même retravaillée, m'en servant de brouillon pour les réglages que je voulais faire sur les autres clichés, de facture plus classique. Je l'ai gardée donc, et le jour où le projet du "Petit traité..." a vu le jour, elle s'est immédiatement imposée comme l'illustration de couverture. A mon sens, il ne pouvait y en avoir d'autre et c'est elle qui devait donner la touche finale à l'ouvrage...
Oui, j'aime ce livre, cet objet livre, comme un premier enfant; malgré ses défauts, ses imperfections, comme les trop nombreuses coquilles et autres fautes de frappe laissées par l'éditeur.
Je ne dirai rien de son contenu. Parce que ce n'est pas à moi de le faire. Mon rôle consiste à écrire les histoires. Le vôtre, lecteurs, si vous le voulez bien sera de les commenter, d'apporter vos remarques critiques sur un ou sur l'ensemble des textes qui composent ce "Petit traité..."
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