Le Blog de Denis Sigur

Le Blog de Denis Sigur

mardi 23 février 2010

Accusé de déception

Andy Wharol prétendait que chacun d’entre nous est amené, au cours de son existence, à connaître son quart d’heure de gloire. Le mien vint sans doute un jour de juin 1987. C’est du moins ce que je pouvais être en droit de croire alors…



J’allais avoir 25 ans. J’étais étudiant en Lettres Modernes et surveillant d’internat dans un collège aux confins du Tarn. Je venais de vivre une séparation douloureuse et j’étais amoureux d’une belle et énigmatique camarade d’université sous les fenêtres de laquelle – elle logeait dans un foyer tenu par des sœurs- j’allais nuitamment siffler des airs d’opéra pour essayer d’infléchir ses sentiments à mon égard. En vain et sans illusion aucune…



Je tournais en rond et ma vie, elle, ne tournait pas rond. Je n’avais aucune perspective professionnelle à laquelle me raccrocher. Je vivais seul avec mon chat – baptisé "Sartre" à cause du strabisme divergent dont il était affublé quand je l’avais adopté – et traînais ma mélancolie entre mon appartement sous les toits et les bancs de l’université. J’occupais mon temps libre en conjuguant quatre activités principales : lire, écrire, courir et écouter de la musique classique.



A cette époque là, une revue mensuelle entièrement consacrée à la nouvelle fit son apparition dans les kiosques. « N comme Nouvelles » coûtait la coquette somme de 30 francs, mais l’occasion était alors si rare de lire ce genre de magazine et de pouvoir lui envoyer des textes que je faisais ce sacrifice mensuel sur mon faible budget d’étudiant. Je soumis plusieurs textes au comité de lecture, sans succès. Et un jour, la revue proposa un concours de nouvelles sur le thème du « crime parfait ».



Sur le coup, je décidai de ne pas concourir. Le polar et la littérature noire étaient alors considérés comme des genres mineurs, de la sous littérature, surtout pour un étudiant de Lettres Modernes rêvant d’être promis à un glorieux avenir d'écrivain…. Je l’avoue : j’étais alors un jeune prétentieux empli de... prétentions.



Mais, après avoir lu le courrier des lecteurs de la revue, je me ravisai car je venais d’y trouver le matériau idéal. Un auteur, encore plus prétentieux que je ne l’étais alors s’y plaignait de ne pas voir son talent reconnu. Je n’avais plus qu’à extrapoler. Et pour parfaire ce qui, à mes yeux n’était qu’une aimable pochade, après avoir tapé à la machine sur du papier très fin le texte qui suit, je l’envoyai en recommandé avec accusé de réception au rédacteur en chef de « N comme nouvelles »



Les semaines, les mois s’écoulèrent et j’oubliai le concours. Il faut dire que je m’étais alors trouvé une autre occupation : Pour fêter mon quart de siècle approchant – et au cours duquel je n’avais strictement rien fait de ma vie, il faut tout de même le souligner – j’avais décidé de courir en solitaire de Toulouse à… Gibraltar, soit 1600 km en plein cœur de l’Espagne et en été avec des étapes quotidiennes allant de 35 à 70 km. Un pari d’autant plus fou et inconscient que je n’avais jamais jusque là parcouru plus longue distance que mes 8 à 10km  quotidiens à tourner en rond dans le Jardin des plantes à côté de chez moi…



Je préparais donc mon futur périple, une première à l’époque, en faisant le tour des sponsors éventuels et des médias. J’oubliais juste de m’entraîner… La presse relaya assez bien mon projet, si bien qu’un matin, le facteur sonna à ma porte pour m’apporter un télégramme émanant du secrétariat de… Nicolas Hulot ! Le journaliste préparait alors la première de son émission culte, « Ushuaia » et recherchait des sujets. Il n’y eut pas de suite, mais sur le coup j’étais assez fier, ou pour être plus exact, fier comme un paon.



Ce même jour, pendant que j’étudiais les cartes détaillées du réseau routier espagnol, mon téléphone sonna. C’était la rédaction de « N comme nouvelles ». Mon texte et les conditions de son arrivée au siège de la revue avait fait rire tout le monde : « Notre jury n’a pu se retenir de décerner à un quatrième auteur (il n’y avait que trois lauréats dans le règlement initial), Denis Sigur, pour son humour corrosif, une exceptionnelle « mention spéciale » (…) Ultime précision : la mention spéciale que notre jury unanime (rédacteur en chef compris) lui a décernée, ne doit bien sûr rien à un odieux chantage qu’il aurait exercé… Reste que son idée empoisonnante lui ait venue à la lecture du… « Courrier des lecteurs de N. ». Je reçus un chèque de 500 francs, une jolie somme à l’époque; puis je me lançai sur la route de Gibraltar…




Le numéro 11 de la revue parut en juillet, mon texte figurant en bonne place, pendant que je parcourais le bitume fondu des routes de la Mancha, pathétique Quijote en quête de la gloire pour éblouir son inaccessible étoile. Il n’y eut jamais de numéro 12. La revue cessa d’exister juste après.
Quant à moi, j’atteignais ma destination 31 jours plus tard, dans le plus total anonymat, amaigri ( J’ai laissé 12 kg dans l’aventure…), épuisé, ruiné (je mis plus de cinq ans à rembourser le découvert engendré pour financer le raid) et avec l’étrange sentiment de n’être qu’un singe de plus parmi la colonie de quarante spécimens peuplant le rocher de Sa Majesté Britannique. Mais ça, c’est une autre histoire….


Accusé de réception



Monsieur le Rédacteur en Chef,

J’ai pris connaissance du concours de nouvelles que votre revue organise sur le thème du crime parfait et je vous envoie cette lettre en recommandé avec accusé de réception pour être bien certain que vous la lisiez vous-même. Car je ne suis pas né de la dernière pluie – oh ça non ! - et je connais par cœur toutes vos combines, à vous les éditeurs, toutes vos machinations, vos manipulations d’auteurs dans le seul but de gagner de l’argent, encore et toujours de l’argent.

Le talent, le vrai, vous vous en fichez éperdument. Vous traitez les auteurs avec mépris sans jamais tenir compte de leurs qualités et même parfois, comme ce fut le cas avec moi, de leur génie.

Mon nom ne vous dit sûrement rien - n’est-ce pas ? – ce qui prouve bien votre manque d’intérêt pour tous les textes que l’on vous envoie. Allons, avouez-le, vous n’avez jamais lu une seule de toutes les nouvelles que je vous ai fait parvenir. Jamais ! Et pourtant, j’ai du talent. Du génie, même. Je suis l’héritier spirituel d’Henry James et de Marguerite Duras, la synthèse de Katawaba et e Montaigne. Je suis peut-être, que dis-je, certainement, le plus grand génie de la littérature de ce siècle et des siècles à venir.

Mais vous, en dépit de cela, vous persistez à ignorer mon œuvre, préférant publier de petits écrivains minables et inconnus, des gens sûrement bien placés et dont le seul talent consiste à avoir des amis capables de financer votre journal.

Il est temps pour moi, cher Rédacteur en Chef, de vous donner une petite leçon et de vous montrer à quel point vous vous êtes trompé sur mon compte jusqu’à présent.

Je ne vous enverrai pas de nouvelle cette fois-ci et je ne participerai pas non plus à votre concours ; ma place dans la vie littéraire à venir est bien trop importante pour que je m’abaisse à ce point.

Cependant, je veux vous démontrer combien il m’aurait été facile de gagner ce concours, si j’avais voulu. Un jeu d’enfant à vrai dire.

Avez-vous remarqué combien ce papier à lettre est fin ? Si fin même que vous avez été obligé à plusieurs reprises d’humecter vos doigts sur vos lèvres pour pouvoir en séparer les feuillets. Est-ce que je me trompe ? Non. Alors continuons, voulez-vous ? Vous allez voir ; c’est très intéressant. En fait, chaque feuillet de cette lettre est recouvert d’une pellicule de poison capable de tuer un bœuf. Rassurez-vous, cette potion, que j’ai ramenée d’Amérique du Sud est absolument indolore et ne laisse aucune trace. Vous ne souffrirez donc pas et les médecins concluront certainement à un arrêt cardiaque.

Quant à ma lettre, il n’en subsistera aucune trace après votre décès. Elle est, voyez-vous, écrite à l’aide d’une encre qui a l’extraordinaire particularité de se désagréger au bout de quelques instants au contact de la lumière. D’ailleurs, si vous avez des doutes, vous pouvez vérifier sur les feuillets que vous avez certainement déposés sur votre bureau. Allez, jetez un coup d’œil puisque vous ne me croyez pas…

Alors, n’avais-je point raison ? Hé oui ! Vous allez mourir, cher Rédacteur en Chef, et personne ne soupçonnera le meurtre que je viens de commettre !

Toute tentative de résistance serait vaine. Si mes calculs sont exacts, et ils le sont certainement, à cette heure-ci vous êtes absolument seul dans votre grande maison ; et puis vous devez sans doute être envahi depuis un petit moment par une torpeur grandissante qui vous tient cloué dans votre fauteuil.

Vous avez toujours refusé de me considérer comme un écrivain de génie. Avouez au moins que je suis un parfait criminel.

Adieu cher Rédacteur en Chef

Très cordialement

B.L.H

lundi 22 février 2010

Les chroniques de Cyrano

Voici un peu plus d'un an, j'ai accepté de tenir une chronique dans le mensuel protestant du Sud-Ouest "Ensemble". L'on m'y donnait carte blanche pour y écrire un billet d'humeur, une chronique hasardeuse, le nez au vent, sur ce qui me passerait par la tête.  Une invitation faite aprés la publication du "Petit traité de savoir vivre à l'usage de ceux qui vont mourir" dont la teneur, l'humour, l'ironie avaient été appréciés par plusieurs membres de la rédaction du mensuel. C'était risqué de leur part; d'autant plus qu'aucune contrainte ayant trait à la religion, ni aucune référence aux textes bibliques n'étaient exigées. Mais n'est-ce pas cela, au fond, une vraie carte blanche? Ceci dit cette toute puissante liberté avait aussi pour moi quelque chose de terrifiant. J'avais un peu l'impression qu'on me demandait de faire une numéro de trapèze sans filet et sans trop savoir ce que l'on attendait de moi. Je savais que je n'avais pas grand-chose à craindre si ce n'est de moi-même. Je connaissais l'ouverture d'esprit, la tolérance et le sens de l'humour qui caractérisent l'Eglise Réformée auxquels j'ai depuis rendu hommage à la fin de "Crises de foi". Bref, je me suis lancé vaille que vaille, sous le nom de plume de Cyrano et, ma foi (!), ce rendez-vous mensuel est devenu un exercice de style des plus plaisants. Le ton y est volontairement laïque, les sujets semblent tirés d'un inventaire à la Prévert...
Je voulais aujourd'hui vous en proposer un extrait:


Chronique vide de sens


« Mon capitaine disait que tout ce qui nous advient de bien ou de mal ici bas est écrit là-haut, sur le grand rouleau ». C’est à peu près ce que rappelle Jacques, mon ami Jacques*, ce diable d’homme, à qui veut bien l’entendre.

Je pense que c’est vrai. Fondamentalement vrai. La vie est comme un grand arbre dont chaque branche, chaque rameau, chaque pousse mène vers le Ciel. Le choix de telle ou telle branche importe peu à l’écureuil qui veut grimper jusqu’au faîte de l’arbre. Bien sûr, il y a toujours les accidents de la vie, les mauvais choix possible pour atteindre l’inaccessible étoile. « Donnez-moi quatre planche pour me faire un cercueil/ Il est tombé d’la branche le gentil écureuil » chantait Trenet…

Tout n’est qu’illusion. Tout n’est que chimère, et comme disent les bouddhistes, la Forme est vide et le Vide est forme…

Et nous là dedans ? Pauvres humains qui croyons être maîtres de notre destin ! On pense construire et certains s’aventurent même à construire des systèmes de pensée… Nous ne sommes pourtant que des bulles de savon, promenées, baladées dans l’espace du Vide que nous engendrons. Le monde, notre monde, celui que notre société s’est construit, celui de la communication à tous vents, du téléphone portable, de Facebook, du numérique, du tout technologique, du pathétique à l’étique plastique… Ce monde là n’est qu’un vaste espace creux. Et nous, pauvres bulles qui voletons à l’intérieur, nous ne sommes nous même constitués que de vide. Lorsque ces bulles disparaissent, lorsqu’elles éclatent, tout, absolument tout, retourne au néant originel comme un tube cathodique qui rend l’âme. Pfuittt….

J’ai beau essayer donc, de me pencher sur un avenir quelconque, d’avoir la pré-science de ce qui pourrait advenir dans les minutes ou les jours à venir, je ne vois rien, je ne sens rien, je n’imagine rien…

Et soudain, je sens un poids sur ma poitrine qui m’oppresse ; comme une énorme, une massive bulle de savon qui grandirait et finirait par m’écraser…

Quelle ironie du sort ! Mourir écrasé par une masse de vide ! Voilà qui est tout à fait scientifiquement incorrect !

Mais je délire ; tout ceci, me direz-vous, n’a pas de sens. Tiens, cela me fait penser qu’il y a une vingtaine d’années j’avais écrit une nouvelle débutant par cette phrase : « La vie n’avait pas de sens ; Par conséquent, en descendant du bus, il ne savait pas vraiment quelle direction prendre ».

Le non sens, le sens de l’absurde… Et si, finalement, c’était cela, cet improbable sixième sens dont le Fantastique nous rabat les oreilles ?

Cyrano

* « Jacques le fataliste », Denis Diderot

vendredi 12 février 2010

Territoires de l'Inconscient

Le texte suivant date du début des années 2000. Il fut écrit lors d'un atelier de la Boutique d'écriture du Grand Toulouse, alors animé par Serge Vizzini. J'ai toujours tendance à croire que ce que j'écris n'est pas autobiographique; pourtant en parcourant ce texte que je n'avais pas relu depuis longtemps je m'aperçois que ce n'est pas complètement vrai. On laisse toujours une petite part de soi, consciement ou pas dans ce que l'on écrit."Dans la pénombre" ne raconte pas d'histoire à proprement parler; c'est plutôt un exercice de style. Je ne me souviens plus quelle était exactement la consigne donnée... Mais en le relisant il m'apparait évident que la maison dont je parle dans ce texte est le reflet de celle que je venais d'acheter alors, quelque part dans les Pyrénées, entre Foix et Montségur, face au chateau cathare de Roquefixade. C'était - et c'est toujours -  une toute petite habitation de 25m2 au sol, composée d'une pièce à vivre avec évier et cheminée et d'un étage nu. Il s'agissait  d'un pied à terre que d'une véritable habitation et chaque fois que je venais là il y avait toujours quelque chose à réparer. D'ailleurs, la "gouttière exangue" est authentique ! Depuis la maison a changé et s'est dotée de tout le confort nécessaire. Elle cultive même ce paradoxe d'être certainement la plus petite habitation du village tout en étant celle qui compte le plus grand nombre de couchages (Dix !). j'aime cette maison comme un part de moi-même; loin de tout (pas de télévision, pas d'internet et pour téléphoner il faut monter sur la colline!) et près du Ciel. Parfois, en feuilletant le magazine "Lire" je découvre l'antre sacré de tel ou tel écrivain. A vrai dire, mon petit "Cabillet" n'a rien à leur envier. Même si j'ai encore de temps à autre une petite fuite sur le toit pour me causer quelques soucis.
L'enfant dont parle ce texte est un mélange de mes deux fils aînés, Adrien et Antoine, qui avaient 6 et 4 ans à l'époque et sortaient toujours sans être assez couverts comme tous les enfants, du reste (Si je me souviens d'une phrase que m'a serinée mon père quand j'étais gosse, c'est bien: "Mets ta veste si tu sors !") et de la fragilité de mon dernier né de l'époque, Axel, six ou huit mois à peine, dont je surveillais le sommeil dans la pièce du haut...
A part ça, "Dans la pénombre" est un texte de pure fiction et toute ressemblance, blablabla....





Dans la pénombre

Penché sur toi, je retiens mon souffle. Rien ne bouge. La pénombre m’empêche de discerner ton corps. Es-tu seulement là ? Lentement, sans bouger, j’apprivoise la raison et chasse avec peine l’angoisse d’une idée folle: Et si tu n’étais plus ? Si la nuit t’avait emporté ? Mais non! Je parviens enfin à capter le mince filet de ta respiration, comme l’homme sur le point de se noyer réussit à empoigner une racine de la berge. Aussitôt, l'angoisse s'évapore.

J’écoute avec bonheur ce bruissement léger, ce souffle aussi ténu que celui de la brise faisant trembler les branches du grand saule pleureur penché sur la rivière.

Je m’incline un peu plus. Une larme glisse sur ma joue, tombe prés de toi avec un "toc" malicieux et furtif. J’imagine que cette infime parcelle d’océan s’est écrasée sur un objet de carton ou de plastique. Un jouet ? La couverture d’un livre ? Mon esprit, distrait de ses angoisses s’acharne à démasquer l’intrus caché dans ton lit. Toc. Le même sonc que celui qui, cet après-midi encore, mettait à rude épreuve mes tentatives de lecture...

Une bûche sans doute trop humide chuintait tandis que les flammes léchaient son écorce ; Les galeries creusées par les termites craquaient dans des crépitements sans lendemain. Je tournai mon regard vers la fenêtre aux rideaux tendus sur l’opacité de la fin du jour. De la pluie, je ne percevais que le tambourinement incessant de la gouttière exsangue se déversant sur le trottoir.

Et puis, au-dessus de ma tête, ce toc-toc-toc pernicieux sur le sol du grenier. Une fuite dans la toiture ! Je tendis l’oreille vers la source du bruit. Le choc sourd de l’eau sur la lame de bois du plafond de l'étage se fit entendre plus à gauche. Où était-elle, bon dieu, cette brèche dans la coque de mon arche fragile ? Je sentais mon cœur s'emballer ; il fallait au plus vite situer l’ennemi pour mieux le combattre. Je refermai dans un claquement étouffé du papier le livre sur mes genoux, et coeur et corps aux aguets, je me mis à guetter, le regard au plafond.

Alors, comme pour me narguer, le toc lancinant et irrégulier se transforma en tac-tac-tac régulier semblant dire : « je suis là ! Je suis là ! Je suis là ! ».

Soudain, la porte d'entrée, gonflée par l’humidité, s’est ouverte avec le fracas d’un raclement aïgu sur la pierre du seuil. Tu es entré, riant aux éclats pour venir t’ébrouer au milieu de la pièce. Tes vêtements détrempés clapotaient sur les tomettes délavées.

J’aurais du me fâcher, te gronder, te dire : « Stupide enfant ! Tu vas prendre froid ! » Mais ton rire joyeux faisait taire toute autre pensée que la tendresse. J'en oubliais mon rôle de père.

Je t’ai serré dans mes bras, sans un mot. Sur nos cœurs qui battaient à l’unisson, le silence est retombé comme une gaze sur les dernières parcelles du jour. Mais dans le recueillement qui  suivit, j’ai surpris un claquement de dents ; la fièvre n’allait-elle pas venir te surprendre au milieu de la nuit ?...

Penché sur toi je respire ton souffle et me berce de ce bruit pareil à celui des vagues sur une plage lointaine.

L’orage est passé. Dans la pénombre, j’entends encore une fois le toc d’une goutte retardataire tombée de la toiture.

Penché sur toi, dans un souffle, je murmure un  «Je t'aime.» à ton oreille invisible.

mercredi 3 février 2010

Lorsque l'enfant était enfant...

Je ne m'aventure que très rarement en terre de Poésie. C'est, pour moi, un art bien délicat et subjectif dans lequel il est plus facile d'écrire de mauvaises choses que de créer des images dignes de susciter des émotions. Difficile de ne pas tomber dans le cliché, la mièvrerie, la rimaille vaille que vaille. D'ailleurs, je n'apprécie pas la poésie où la rime fait office de loi et se retrouve sans surprise tout au long du texte comme les bornes kilométriques sur une autoroute. Lorsque je lis ou que j'écoute un texte poétique, j'aime que la rime me rappelle un autre mot, comme un écho, le fugace souvenir d'un mot rencontré quelque part sur la route empruntée. Un peu comme dans un voyage au cours duquel la soudaine vision d'un paysage vous fait songer que vous l'avez déjà vécu, que vous êtes déjà passé là, juste avant que cette sensation ne disparaisse tout aussi brusquement qu'elle était venue.
Malgré tout, il m'arrive donc parfois de tenter quelques incursions en ces terres étrangères. Je vous propose ce texte, Toboggan, parce qu'il fait, à mon sens, écho à la nouvelle "Sinfonia".

Pour l'anecdote, "Toboggan" a reçu le deuxième prix du concours de poésie de la Ville de Toulouse en 2006, dans le cadre du Marathon des mots.
La nostalgie des territoires de l'enfance, le regard posé par l'adulte sur ce monde quitté de force et désormais inaccessible... Je me souviens de l'émotion, toujours intacte encore aujourd'hui, lorsque j'entendis pour la première fois, le magnifique texte de Peter Handke, "Lied vom kindsein" en ouverture du film de W. Wenders, "Les ailes du désir": "Als das Kind Kind war..." comme une mélopée dite par une voix d'homme, grave et emplie de tendresse pour cet enfant qu'il a été. Je ne parle pas allemand, ni ne comprend cette langue mais je ne me lasse pas d'entendre ce texte. Bien sûr, depuis j'ai trouvé sa traduction et compris son sens. Je n'en suis que plus captivé par sa mélodieuse ritournelle...



TOBOGGAN


Une rue, un jardin de quartier
Du toboggan
Comme d’une plaie au côté
Coulent des myriades d’enfants
Qui se laissent glisser
Dans des rires insouciants
Descendus du ciel à la terre
Comme la lave du volcan
Anges crachés des enfers
Flocons de cendre et duvet blanc.
Ils se relèvent, ahuris
Et se frottent le derrière
Pour plonger dans un cri de furie
Sur les chevaux à bascule
Équidés sans esprit d’équité
Et tout quitter
Pour partir à la guerre.
Ils s’assoient sur ce monde qui vacille
Innocence fragile et crédule
Quand tout n’est que matière
Matière à penser
Pour panser les plaies
De la chair à canons, de la chair à pâté
Si loin des pâtés de sables
Et des ronds tourniquets
Si loin qu’on dirait une fable
Dont on peut se moquer.

Un jour, on saute à la corde
L’autre, on va se pendre.
On ne sait jamais rien des lendemains qui mordent
On sait seulement qu’on doit s’y attendre.
Et cela fait de nous
Des êtres vieux aux cœurs méchants
Qui laissent filer sur le toboggan
Des vies qui les ont mis à genoux

Quand vient le soir, que la nuit tombe
C’est faute d’espoir que l’on succombe

Avec le temps....

Je vous livre aujourd'hui un de mes plus anciens textes encore en ma possession. Il date certainement du début de 1985 (Hé oui, ça ne nous rajeunit pas tout ça !). Par la suite, il fut réécrit plusieurs fois à l'occasion de diverses participations à des concours de nouvelles (pour lesquels il ne fut jamais sélectionné.). Quant à son titre définitif "Sinfonia" (Au départ il s'intitulait "Le vieil homme et l'amer") il le doit au fait que je l'insérai un jour en ouverture d'un manuscrit de recueil de nouvelles envoyé à divers éditeurs (Envoi qui resta sans suite, là aussi...). Sinfonia étant le nom donné à la petite pièce de musique qui précédait les opéras au 18ème siècle, je trouvais que ce nom s'accordait parfaitement au rôle que je voulais faire tenir à ce texte. Je ne voudrais pas passer avec ces quelques commentaires pour un musicologue averti. Simplement, à cette époque là, étudiant en Lettres Modernes, je suivais quelques cours annexes, dont un en musicologie dont j'ai gardé d'excellents souvenirs, quelques notions sur l'histoire de la musique classique et une amitié sans ride avec une de mes condisciples...
Sans doute Sinfonia ne paraîtra-t-elle jamais dans aucun recueil finalement. Je l'aime bien pourtant. Et c'est pour cette raison que j'ai décidé de vous la proposer aujourd'hui... Une lecture d'hiver en quelque sorte.
Pour rendre à César ce qui est à César, j'ai trouvé l'illustration sur le site de Thierry Bruet, un peintre que j'ai découvert au gré de mes flâneries sur la Toile... www.thierrybruet.com/ppeintures.php




Sinfonia



Voici déjà les beaux jours que je déteste. Pouvez-vous imaginer le temps que met le soleil pour voyager d’est en ouest dans ces moments là ? Non, vous ne pouvez pas; vous avez bien trop à faire.

Moi, j’ai… Oh! Je ne sais même plus ! Disons un nombre considérable– mais qu’est-ce que cela signifie ? – d’années derrière moi. Peut-être ai-je atteint le siècle ? Qui saurait me dire si je ne l’ai pas dépassé ? Je me sens si vieux !…
Je suis assis, comme à l’accoutumée, dans le grand fauteuil en rotin, face à la fenêtre; mes mains reposent sur les accoudoirs ; du moins je le crois, parce qu’à vrai dire, je ne les sens plus…. Depuis bien longtemps déjà.
Un jour, un jour bien lointain à présent, tout mon corps a refusé, subitement d’obéir à mes ordres; depuis ce moment là que je reste continuellement dans ce fauteuil. Bien sûr, je pourrais tourner ou incliner la tête et vérifier la présence de mes mains; Mais à quoi bon ? Je n’aime plus les efforts inutiles.
Je préfère garder ma tête un peu penchée sur l’épaule gauche et contempler de mes yeux larmoyants le mur de crépis blanc qui s’élève devant moi. Il n’a pas toujours été blanc ce mur: Du tréfonds de ma mémoire je crois me souvenir d’ une façade de briques roses.
Il est vrai que moi, je n’ai pas toujours été vieux; avant d’être diaphanes et parcourues de veines bleuâtres, mes mains aussi, ont été roses et fraîches. C’était avant… Avant quoi ? Avant que je ne sois vieux.
Pourquoi me posez-vous toutes ces questions ? Comment répondre lorsque l’on a perdu l’usage de la parole ?
Vous n’avez rien dit ? C’est peut-être vrai. Mon imagination me joue des tours….
Celle qui était là avant vous parlait beaucoup.
Je ne l’aimais pas ; elle ne comprenait rien. Pendant des mois, elle s’est obstinée, chaque matin, à allumer le poste de radio pour le poser à côté de moi. Je n’aime pas le bruit. Moi, je voulais juste regarder mon mur blanc sur fond de ciel bleu se lézarder, lentement, en silence. C’est tout. Alors pourquoi m’infliger cette radio crachant à mes oreilles les nouvelles d’un monde qui m’était devenu étranger ?
Lentement, doucement, j’ai fait osciller mon fauteuil; comme il touchait la table, elle bougeait aussi. Le travail m’a pris des heures, mais j’en ai de reste. Et puis, à la fin, la radio est tombée. Moi, je n’ai plus bougé; Mes yeux étaient peut-être plus humides que d’ordinaire, c’est tout.
L’Autre, dans sa blouse blanche, a vu la radio parterre ; alors, elle s’est mise à gesticuler et à crier en tournant autour de moi, menaçante, me jetant des regards courroucés.
Devant moi, il y avait un mur blanc qui se fissurait et le ciel sans nuage.
L’Autre, je ne l’aimais pas ; elle ne me rappelait rien.
Vous, c’est différent. Bien sûr, vous ne me parlez pas, mais je vous aime bien ; vous n’êtes jamais restée entre le mur et moi. Et puis, j’ose le dire, je vous trouve jolie, sous votre blouse blanche.
Le matin, lorsque vous faites la toilette à mes chairs flasques et livides, j’observe votre corps fier et tendu, vos mains fines et sans ride, votre long cou doré au fin duvet blond à l’aube de votre nuque, et ce sillon sombre et profond jailli de votre blouse, qui laisse deviner des seins ronds et fermes.
Ne me regardez pas comme cela ! Il y a déjà longtemps que je n’ai plus désiré une femme. Je suis une âme décharnée, un fœtus flétri par une vie trop brève et des souvenirs trop lourds à porter.
Une fois, avant de repartir vous vous êtes changée dans le cabinet de toilette derrière moi ; un rendez-vous, sans doute. Votre image sur la vitre est venue frapper mon regard et déchirer ma mémoire. Vous étiez nue et vous chantonniez devant la glace. Vos épaules, votre dos cambré, vos cuisses musclées éveillèrent en moi un souvenir diffus.
Un parfum d’abord; lourd et et enivrant. Et la vision d’un corps, pareil au vôtre, tourné de trois quarts, les bras relevés sur un chignon. Puis une chanson dont j’avais oublié jusqu’à l’existence ; les paroles, à présent, se bousculaient au seuil de ma mémoire…
J’étais jeune, j’étais beau ; heureux, dans mon col amidonné, mon chapeau maladroitement tenu au bout des doigts, je contemplais cette femme nue que j’ai sans doute aimée…
Mais un vent mesquin a chassé, d’un souffle, votre image de sur la vitre; le souvenir, aussitôt, s’en est allé.
Vous ne chantonniez plus.
Le mur était gris et le ciel de plomb.
Quelque chose, chaud et humide entre mes cuisses, m’ a soudain rappelé que j’étais à jamais rivé à ma vieillesse.
Oui, vraiment, je vous aime bien. Et c’est dans vos bras que j’aimerais m’éteindre, un matin, à la fin d’une toilette.
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