Le Blog de Denis Sigur

Le Blog de Denis Sigur

vendredi 12 mars 2010

Déménagement

Chers ami(e)s
Ce blog est en train de déménager.
Je vous invite à me retrouver désormais à l'adresse suivante:

jeudi 4 mars 2010

Les vases communicants (1)

« …pourquoi ne pas imaginer, le 1er vendredi de chaque mois, une sorte d’échange généralisé, chacun écrivant chez un autre ? Suis sûr qu’on y découvrirait des nouveaux sites… ». Ainsi sont nés les vases communicants. Aujourd’hui, Denis Sigur et Frédérique Martin s’invitent réciproquement.




FANTÔMETTE ET FANTÔMAS (Frédérique Martin)

Il m’arrive une histoire incroyable. Jusque-là, je n’avais pas osé en parler, on m’aurait prise pour Dame Chaillot ! Au début, j’ai feint de ne rien remarquer, j’ai gardé une réserve détachée, un air de pas grand chose. Mais le phénomène est maintenant d’une telle ampleur, je ne peux plus le dissimuler. Voilà, je me lance : mon site est hanté !

J’ai fouillé les archives du KGB, alerté la Nasa, retourné les tapis persans - et même les turcs -, consulté mon Encyclopédie des fantômes et des fantasmes… en vain. Aucune expertise sur le sujet, puisqu’on vous dit que les esprits de blog n’existent pas !

Pourtant ils sont bel et bien là. Ils rôdent à toute heure - de préférence celles des repas - surgissent sans prévenir, laissent des traces partout. Parfois ils se figent sur place, hurlent, trépignent, agitent leurs chaînes. Devant mon intransigeance, ils font mine de sortir, puis reviennent illico. Tantôt solitaires, tantôt en groupe, ils se haranguent, s’interpellent, pique-niquent, fument en cachette, puis s’enfuient en jetant derrière eux des mégots fumants et des poubelles éventrées.

Ils sont de plus en plus nombreux, j’en rêve la nuit. Il y a des fantômettes et des fantômas. Aux heures de pointe, on peut voir débouler : une blonde platine, une paire de grandes oreilles, un petit dadais, une mère de famille nombreuse, un troll et même le spectre d’un chien pelé arroseur d’angles acérés. Ils commentent mes faits et gestes, au point que j’ose à peine traverser leur groupe pour rejoindre mes appartements. Ils ricanent par moment et s’entretiennent à demi-mot, certains ont des avis définitifs et entendent les faire valoir. Il y en a un, victime d’une tragédie, qui délire et lance des cris déchirants : Maman, maman !? Le plus souvent, c’est l’écho qui répond. Enfin, il y a les timides, les inconstants ou les touristes qui viennent en visite une fois de temps à autre, qui se déguisent pour ne pas être reconnus.

L’épidémie a culminé quand une cantatrice s’est mise à vagir dans le couloir. Toujours la même chanson. Au début, c’était beau, émouvant, on y prenait goût. Mais à la sept cent vingt-huitième répétition de l’attaque : Ah les voyages, aux rivages lointains, aux rêves incertains… , il a fallu prendre ses jambes à son cou - question de vie ou de mort. Cela a duré, duré, duré. J’ai prié longtemps, vêtue d’un cilice Yves Saint-Laurent, confite en dévotions, et la diva s’est tue. Ce qui prouve l’existence de Dieu et la prédominance de la mode.


Au cœur de la nuit, entre deux ronflements, le silence finit par s’installer. Je vais alors de pièce en pièce, je range ici et là, je tapote un coussin, je ramasse les miettes. L’espace résonne dans la maison devenue trop grande pour moi. Une inquiétude serpente ; et s’ils ne revenaient pas ? Vite, faire un gâteau, parfumer la chambre, repeindre les murs, changer les tableaux. Et s’ils ne revenaient pas ? Secouer les rideaux, effacer la poussière, trouver une histoire drôle, ou triste, ou belle. Et attendre, assise au salon, attendre leur retour. Ah ! S’ils ne revenaient pas ? Il n’y aurait plus qu’à éteindre les lumières, bien tirer les rideaux et fermer la porte derrière moi.




Peintures de fantômes japonais tirées de rouleaux exposés au temple Zenshoan.



lundi 1 mars 2010

Naissance d'une histoire

C'est curieux parfois, la génèse d'un texte. D'abord, il y a l'envie. Une envie d'écrire irrépressible, de raconter quelque chose, une histoire; même si l'on ne sait pas bien laquelle. L'idée traîne quelque part, au fin fond de votre esprit. Tantôt elle émerge, flotte entre deux eaux; tantôt elle disparait, se terre, cachée sous d'autres pensées du moment, tout aussi éphémères.
Un matin, ou un soir, l'idée vous apparait, trés claire, évidente. Sortie de sa chrysalide, elle a pris la forme d'un sujet de nouvelle.
Certains textes s'écrivent ainsi, d'un jet, en une heure, sur le coin de la table de cuisine, au sortir du petit déjeuner, le café noir fumant encore dans votre bol.
D'autres viennnent plus lentement, cherchent leur chemin. Cent fois vous vous les racontez mentalement. A chaque fois, un nouveau détail, un changement de décors, un autre angle de vue. A chaque fois, vous sentez un trésaillement, une secousse, vous cherchez des yeux, affolé par l'iminence de l'Instant, le stylo et la feuille de papier. Mais non... Il manque encore quelque chose. Ce sera pour la prochaine fois. Dans le bol, le café a tiédi...
J'avais, depuis longtemps, envie d'écrire une nouvelle sur la naissance. Mais comment faire pour être juste lorsque l'on est un homme? Doit-on renoncer parce l'on ne connaîtra jamais l'expérience de l'enfantement?
Je n'ai pas retenu la nouvelle qui suit pour figurer dans l'un des deux recueils que j'ai publiés; je ne l'ai pas non plus proposée à un concours ni à une revue spécialisée. Elle ne me satisfaisait pas. Il y manquait cette part de mystère qui m'impressionnait tant lorsque je regardais le ventre de ma compagne s'arrondir. Un mystère dont je me sentais écarté. Et c'était bien cela que je voulais transmettre au lecteur: le sentiment d'être un témoin impuissant d'un évènement hors de son champ de compréhension.
"La belle aux abois, dormant" date de 2000 ou 2001. J'ai attendu quelques années de plus pour aborder une nouvelle fois le même thème, d'un point de vue, disons plus radical, dans "Moi, 009". Un texte qui figure en bonne place dans mon premier recueil et que vous retrouverez à la suite de:


La Belle aux abois, dormant



Il s’éveilla et tendit l’oreille. Tout était calme. Sans doute dormait-elle encore. Il décida de rester quelques instants sans bouger pour ne pas l’éveiller.
Ces derniers temps, elle ne dormait vraiment pas beaucoup, comme si se laisser aller, ne rien faire, rester étendue l'angoissait au plus haut point.
Ces derniers temps, elle était nerveuse, bougeait sans cesse. Elle allait et venait dans toute la maison. Monter. Descendre. Monter encore. Descendre à nouveau. L’action semblait calmer son anxiété ; pour un temps, juste un tout petit temps.

Lui, aurait préféré qu’elle se tienne plus tranquille, qu’elle le laisse dormir. Toute la journée. Pourquoi pas?.. Bien au chaud, à l’abri de tout et du monde extérieur. Dormir. Oui, dormir. Et puis manger aussi, se laisser nourrir. De temps à autre, un peu d’exercice, comme ça, pour déplier ses membres, pour explorer les limites de son domaine, pour se prouver qu’on existe. Pour se prouver qu’on peut. Rapidement se fatiguer. Replier ses jambes, ses bras. Dormir.

Au début, elle l’avait laissé faire, et même, en un sens, elle l’avait encouragé. Ses gestes à elle, se faisaient lents, pleins de douceur. Elle pouvait rester des heures immobile, juste pour respecter son sommeil à lui.

Au début, elle dormait, elle aussi ; presque autant que lui.

Maintenant, elle ne dormait pratiquement plus ; ou alors mal. Et au fond de lui, ou, pour être plus précis, au fond d’elle-même, il se sentait un peu coupable.

Parfois, elle le tirait de son sommeil, et lui parlait durant de longs moments pour tenter de le convaincre.

-« Allons ! Viens ! Il te faut sortir maintenant. Tu verras, dehors, ce n’est pas si terrible que ça ! »

Il aurait bien voulu lui faire plaisir. Il aurait bien voulu sortir, abandonner son refuge pour la contenter. Pourtant, quelque chose l’incitait à ne pas bouger. Un quelque chose imperceptible; un léger, très léger trémolo dans sa voix quand elle lui disait qu’il allait sortir, que tout se passerait bien, qu’ils seraient heureux tous les deux.

Hier encore, il avait reconnu cette angoisse dans ses paroles et dans les battements de son cœur qui s’accéléraient. Un instant pris de panique, il avait donné de grands coups de pieds dans les parois trop étroites de son monde. Pour ne plus qu’elle parle. Pour qu’elle arrête de bouger. Pour qu’elle cesse de l’alimenter de sa propre peur.

A présent, il se sentait heureux et rassuré par son profond sommeil à elle. Et puis, il y avait cette résolution qu’il avait prise. Puisqu’elle le voulait, il le voulait aussi. Tout plutôt que de  sentir à nouveau cette peur irrationnelle de l’inconnu réduire son univers à une poche de terreur. Il était d’accord pour en finir avec ce jeu de cache-cache.

Doucement, légèrement, il donna quelques coups répétés et sut presque aussitôt qu’il avait été entendu.

De l’autre côté du monde, elle posa la main sur son ventre et sourit.
Demain, elle le mettrait au monde.


Moi, 009
in "Petit traité de savoir vivre à l'usage de ceux qui vont mourir" Editions Edilivre- Aparis 2008



Tout c’était bien passé jusque là. Mais, il le savait, le plus dur restait à venir. Il fit un dernier tour pour vérifier que tout était bien en ordre dans l’espace confiné et inaccessible où il s’était préparé depuis plusieurs mois. A moins que ce ne fût, dans un élan sentimental, une façon de dire au revoir à ce lieu qui l’avait couvé et qu’il allait quitter plus par devoir et nécessité que par réelle envie.

Quelle étrange sensation… Voilà des mois qu’il préparait cet instant ; il ne vivait que pour ça. Pourtant, à présent qu’il se trouvait au pied du mur, il sentait son cœur battre de plus en plus fort à la simple idée de devoir franchir le seuil et d’en partir à la rencontre de son contact. Car il y avait forcément quelqu’un pour l’attendre de l’autre côté. A quoi pouvait bien ressembler cet « autre » ? Il n’en avait pas la moindre idée. En fait, il n’avait que peu d’éléments qui puissent lui permettre d’anticiper sur ce qui se passerait ensuite.

L’essentiel de sa mission se bornait à passer de l’autre côté, quitter l’ombre pour la lumière. Ensuite, il devrait se mêler à la foule, se fondre en elle, apprendre les us et coutumes du monde de dehors.

Depuis le temps qu’il était là, au bord, en marge, il avait passé le plus clair de ses moments en interminables écoutes pour en apprendre un peu plus ; des écoutes souvent brouillées, confuses. Les conditions n’étaient pas toujours excellentes mais il fallait bien faire avec. S’adapter ; à chaque situation. Adaptation, voilà bien le maître mot. Il avait du s’adapter à l’espace qui lui avait été attribué. Comme toujours en pareils cas, les lieux au premier abord lui avaient parus confortables et spacieux ; puis le temps passant il s’était senti de plus en plus à l’étroit. A point que ces derniers jours il souffrait constamment de claustrophobie et avait de plus en plus de mal à trouver le sommeil.

Il avait également du s’adapter à la nourriture. Impossible dans sa situation de la choisir lui-même. Pour cela, il aurait fallu sortir; chose impensable, beaucoup trop risquée. Il n’était pas assez armé, ni suffisamment équipé pour affronter une telle situation. Sortir trop tôt c’était prendre le risque de compromettre le reste de l’aventure, voire de mettre sa vie en péril. Alors, une fois de plus, il s’adaptait. Aux excès de sucre, aux excès d’épices. A une occasion même il avait cru que quelqu’un avait souhaité attenter à sa vie. Cette fois là, comme toutes les autres, il ne s’était pas méfié quand sa ration de nourriture envoyée par son contact était arrivée par le long tuyau semi opaque. Toute la finalité de sa mission reposait sur la confiance ; celle portée à ses propres capacités à réussir, mais aussi et surtout celle donnée à son principal interlocuteur de l’autre côté. Or, quelques instants plus tard, il avait senti de violent spasmes secouer son estomac. Des soubresauts incontrôlables qui avaient perduré pendant de longues minutes. Chose inquiétante, de l’autre côté, il avait cru entendre son contact rire et prononcer des propos rendus indéchiffrables du fait d’une utilisation anormale de la gamme des aigus. L’avait-on trahi ? Les plans étaient-ils changés ? La mission annulée sans qu’on l’en ait informé ? Tout ceci paraissait impensable. Aussi improbable que l’échec et son unique corollaire, la mort, qui le guettaient depuis le début et dont il savait qu’ils ne renonceraient qu’à la fin. Et encore, de façon momentanée seulement… Pendant tous ces longs mois il avait dû garder à l’esprit, pour sa propre sécurité, que tout serait constamment mis en œuvre par des forces ennemies pour attenter à ses jours : accidents, empoisonnements divers, infiltration de virus aussi variés que redoutables… Et son contact, de l’autre côté, ne pouvait qu’en partie veiller à sa sécurité, même si c’était avec une volonté farouche qui forçait l’admiration.

Mais à part quelques incidents tout s’était pourtant bien passé jusqu’à présent. Les épreuves de sélection n’avaient pas menti ; il était bien l’élément idéal pour tenter la mission et il en éprouvait une certaine fierté. Bien sûr, il n’oubliait pas le rôle déterminant du contact dans cette réussite. Il éprouvait même à son égard un sentiment très fort, à la fois indéfinissable et confus. Tapis dans son repère il guettait le moment où ils entraient tous les deux en communication. C’était d’abord la chaleur de sa présence de l’autre côté de la cloison. Il la devinait avant même que l’autre n’effleure discrètement la paroi, avant même que les premières paroles dans ce dialecte qu’il ne connaissait pas encore ne soient prononcées. Il en comprenait toutefois le sens dans la plupart des cas. Des propos qui, à défaut de lui donner des informations bien précises sur la situation au dehors et la marche à suivre, le rassuraient et gommaient les appréhensions qui l’assaillaient parfois.

Il le savait bien ; de sa réussite dépendait aussi en partie la survie de son contact. Il fallait être fin prêt le moment venu. Il s’astreignait donc régulièrement à des séances d’exercices physiques, mobilisaient toutes les parties de son corps, les contraignaient à lui obéir avec une totale efficacité. Tous ces mois d’entraînement avaient fini par porter leurs fruits. Aujourd’hui, il se savait opérationnel. Aujourd’hui il quitterait sa cache et passerait à la deuxième phase de sa mission.

Le terrain des opérations avait d’ailleurs subi les ménagements nécessaires ces dernières heures. Dans ces dernières écoutes il avait surpris beaucoup d’effervescence et d’agitation de l’autre côté. Une agitation qui virait au tumulte dans les derniers moments ; les parois de son antre en étaient elles même affectées et tremblaient à intervalles de plus en plus réguliers. Au dehors, il captait un martèlement sourd et régulier, inquiétant.

Soudain pris d’un mauvais pressentiment, il tenta d’établir la communication avec son contact. En vain. Il se retrouvait seul dans un environnement devenu hostile et qui menaçait de s’effondrer sur lui à chaque instant.

S’il savait que le plus dur restait à faire, il n’avait toutefois pas imaginé subir de tels assauts au moment de sortir.

Il n’y avait plus un instant à perdre. Il se rua vers la sortie. Dans la confusion, le tuyau servant à son alimentation s’enroula autour de son cou sans qu’il s’en aperçoive immédiatement. Mais quand il poussa de la tête et des épaules pour se dégager un passage vers l’extérieur il se sentit étranglé. Il réessaya plusieurs fois ; à chaque fois la situation empirait. Son cœur battait à tout rompre alors même que la conscience de son environnement semblait lui échapper. Allait-il échouer si près du but ?

Dans le vacarme qui formait à présent son univers il perçut des voix et par-dessus ces voix il distingua les cris de plus en plus distincts et réguliers de son contact. Il l’entraînait dans son échec.

Alors dans un ultime sursaut d’énergie il opéra une rotation sur lui-même. Par chance, l’étreinte autour de son cou se relâcha aussitôt. Sans hésiter davantage il fonça tête la première vers l’extérieur. Enfin, il allait voir son contact.

Il se sentit soudain fermement saisi par les épaules et tiré vers l’autre côté. Une vive lumière envahit l’espace ; une douleur épouvantable entra dans sa bouche et coula le long de sa gorge, brûlant tout sur son passage. Il poussa un cri désespéré, songeant qu’il allait mourir.

Il venait de naître.



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