Le Blog de Denis Sigur

Le Blog de Denis Sigur

mercredi 3 février 2010

Avec le temps....

Je vous livre aujourd'hui un de mes plus anciens textes encore en ma possession. Il date certainement du début de 1985 (Hé oui, ça ne nous rajeunit pas tout ça !). Par la suite, il fut réécrit plusieurs fois à l'occasion de diverses participations à des concours de nouvelles (pour lesquels il ne fut jamais sélectionné.). Quant à son titre définitif "Sinfonia" (Au départ il s'intitulait "Le vieil homme et l'amer") il le doit au fait que je l'insérai un jour en ouverture d'un manuscrit de recueil de nouvelles envoyé à divers éditeurs (Envoi qui resta sans suite, là aussi...). Sinfonia étant le nom donné à la petite pièce de musique qui précédait les opéras au 18ème siècle, je trouvais que ce nom s'accordait parfaitement au rôle que je voulais faire tenir à ce texte. Je ne voudrais pas passer avec ces quelques commentaires pour un musicologue averti. Simplement, à cette époque là, étudiant en Lettres Modernes, je suivais quelques cours annexes, dont un en musicologie dont j'ai gardé d'excellents souvenirs, quelques notions sur l'histoire de la musique classique et une amitié sans ride avec une de mes condisciples...
Sans doute Sinfonia ne paraîtra-t-elle jamais dans aucun recueil finalement. Je l'aime bien pourtant. Et c'est pour cette raison que j'ai décidé de vous la proposer aujourd'hui... Une lecture d'hiver en quelque sorte.
Pour rendre à César ce qui est à César, j'ai trouvé l'illustration sur le site de Thierry Bruet, un peintre que j'ai découvert au gré de mes flâneries sur la Toile... www.thierrybruet.com/ppeintures.php




Sinfonia



Voici déjà les beaux jours que je déteste. Pouvez-vous imaginer le temps que met le soleil pour voyager d’est en ouest dans ces moments là ? Non, vous ne pouvez pas; vous avez bien trop à faire.

Moi, j’ai… Oh! Je ne sais même plus ! Disons un nombre considérable– mais qu’est-ce que cela signifie ? – d’années derrière moi. Peut-être ai-je atteint le siècle ? Qui saurait me dire si je ne l’ai pas dépassé ? Je me sens si vieux !…
Je suis assis, comme à l’accoutumée, dans le grand fauteuil en rotin, face à la fenêtre; mes mains reposent sur les accoudoirs ; du moins je le crois, parce qu’à vrai dire, je ne les sens plus…. Depuis bien longtemps déjà.
Un jour, un jour bien lointain à présent, tout mon corps a refusé, subitement d’obéir à mes ordres; depuis ce moment là que je reste continuellement dans ce fauteuil. Bien sûr, je pourrais tourner ou incliner la tête et vérifier la présence de mes mains; Mais à quoi bon ? Je n’aime plus les efforts inutiles.
Je préfère garder ma tête un peu penchée sur l’épaule gauche et contempler de mes yeux larmoyants le mur de crépis blanc qui s’élève devant moi. Il n’a pas toujours été blanc ce mur: Du tréfonds de ma mémoire je crois me souvenir d’ une façade de briques roses.
Il est vrai que moi, je n’ai pas toujours été vieux; avant d’être diaphanes et parcourues de veines bleuâtres, mes mains aussi, ont été roses et fraîches. C’était avant… Avant quoi ? Avant que je ne sois vieux.
Pourquoi me posez-vous toutes ces questions ? Comment répondre lorsque l’on a perdu l’usage de la parole ?
Vous n’avez rien dit ? C’est peut-être vrai. Mon imagination me joue des tours….
Celle qui était là avant vous parlait beaucoup.
Je ne l’aimais pas ; elle ne comprenait rien. Pendant des mois, elle s’est obstinée, chaque matin, à allumer le poste de radio pour le poser à côté de moi. Je n’aime pas le bruit. Moi, je voulais juste regarder mon mur blanc sur fond de ciel bleu se lézarder, lentement, en silence. C’est tout. Alors pourquoi m’infliger cette radio crachant à mes oreilles les nouvelles d’un monde qui m’était devenu étranger ?
Lentement, doucement, j’ai fait osciller mon fauteuil; comme il touchait la table, elle bougeait aussi. Le travail m’a pris des heures, mais j’en ai de reste. Et puis, à la fin, la radio est tombée. Moi, je n’ai plus bougé; Mes yeux étaient peut-être plus humides que d’ordinaire, c’est tout.
L’Autre, dans sa blouse blanche, a vu la radio parterre ; alors, elle s’est mise à gesticuler et à crier en tournant autour de moi, menaçante, me jetant des regards courroucés.
Devant moi, il y avait un mur blanc qui se fissurait et le ciel sans nuage.
L’Autre, je ne l’aimais pas ; elle ne me rappelait rien.
Vous, c’est différent. Bien sûr, vous ne me parlez pas, mais je vous aime bien ; vous n’êtes jamais restée entre le mur et moi. Et puis, j’ose le dire, je vous trouve jolie, sous votre blouse blanche.
Le matin, lorsque vous faites la toilette à mes chairs flasques et livides, j’observe votre corps fier et tendu, vos mains fines et sans ride, votre long cou doré au fin duvet blond à l’aube de votre nuque, et ce sillon sombre et profond jailli de votre blouse, qui laisse deviner des seins ronds et fermes.
Ne me regardez pas comme cela ! Il y a déjà longtemps que je n’ai plus désiré une femme. Je suis une âme décharnée, un fœtus flétri par une vie trop brève et des souvenirs trop lourds à porter.
Une fois, avant de repartir vous vous êtes changée dans le cabinet de toilette derrière moi ; un rendez-vous, sans doute. Votre image sur la vitre est venue frapper mon regard et déchirer ma mémoire. Vous étiez nue et vous chantonniez devant la glace. Vos épaules, votre dos cambré, vos cuisses musclées éveillèrent en moi un souvenir diffus.
Un parfum d’abord; lourd et et enivrant. Et la vision d’un corps, pareil au vôtre, tourné de trois quarts, les bras relevés sur un chignon. Puis une chanson dont j’avais oublié jusqu’à l’existence ; les paroles, à présent, se bousculaient au seuil de ma mémoire…
J’étais jeune, j’étais beau ; heureux, dans mon col amidonné, mon chapeau maladroitement tenu au bout des doigts, je contemplais cette femme nue que j’ai sans doute aimée…
Mais un vent mesquin a chassé, d’un souffle, votre image de sur la vitre; le souvenir, aussitôt, s’en est allé.
Vous ne chantonniez plus.
Le mur était gris et le ciel de plomb.
Quelque chose, chaud et humide entre mes cuisses, m’ a soudain rappelé que j’étais à jamais rivé à ma vieillesse.
Oui, vraiment, je vous aime bien. Et c’est dans vos bras que j’aimerais m’éteindre, un matin, à la fin d’une toilette.

1 commentaire:

  1. Que se passe-t-il ? Rien.
    Quand ? N’importe.
    Où ? Entre 4 murs.
    Avec qui ? Celui-là qui pourrait être quelqu’un d’autre. Vous ? Moi ? Ah, non ! Si.
    Serait-ce une parabole ? Pourquoi ? Pensez-y. Ecrire sur rien à propos de quelque chose qui ne tiendrait que par la seule vertu du style, rêve de Flaubert.
    Ou l’’attente de quelque chose, comme ici. En attendant Denis Beckett Sigur. Sommes-nous concernés ? Ben…

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