Le Blog de Denis Sigur

Le Blog de Denis Sigur

vendredi 12 février 2010

Territoires de l'Inconscient

Le texte suivant date du début des années 2000. Il fut écrit lors d'un atelier de la Boutique d'écriture du Grand Toulouse, alors animé par Serge Vizzini. J'ai toujours tendance à croire que ce que j'écris n'est pas autobiographique; pourtant en parcourant ce texte que je n'avais pas relu depuis longtemps je m'aperçois que ce n'est pas complètement vrai. On laisse toujours une petite part de soi, consciement ou pas dans ce que l'on écrit."Dans la pénombre" ne raconte pas d'histoire à proprement parler; c'est plutôt un exercice de style. Je ne me souviens plus quelle était exactement la consigne donnée... Mais en le relisant il m'apparait évident que la maison dont je parle dans ce texte est le reflet de celle que je venais d'acheter alors, quelque part dans les Pyrénées, entre Foix et Montségur, face au chateau cathare de Roquefixade. C'était - et c'est toujours -  une toute petite habitation de 25m2 au sol, composée d'une pièce à vivre avec évier et cheminée et d'un étage nu. Il s'agissait  d'un pied à terre que d'une véritable habitation et chaque fois que je venais là il y avait toujours quelque chose à réparer. D'ailleurs, la "gouttière exangue" est authentique ! Depuis la maison a changé et s'est dotée de tout le confort nécessaire. Elle cultive même ce paradoxe d'être certainement la plus petite habitation du village tout en étant celle qui compte le plus grand nombre de couchages (Dix !). j'aime cette maison comme un part de moi-même; loin de tout (pas de télévision, pas d'internet et pour téléphoner il faut monter sur la colline!) et près du Ciel. Parfois, en feuilletant le magazine "Lire" je découvre l'antre sacré de tel ou tel écrivain. A vrai dire, mon petit "Cabillet" n'a rien à leur envier. Même si j'ai encore de temps à autre une petite fuite sur le toit pour me causer quelques soucis.
L'enfant dont parle ce texte est un mélange de mes deux fils aînés, Adrien et Antoine, qui avaient 6 et 4 ans à l'époque et sortaient toujours sans être assez couverts comme tous les enfants, du reste (Si je me souviens d'une phrase que m'a serinée mon père quand j'étais gosse, c'est bien: "Mets ta veste si tu sors !") et de la fragilité de mon dernier né de l'époque, Axel, six ou huit mois à peine, dont je surveillais le sommeil dans la pièce du haut...
A part ça, "Dans la pénombre" est un texte de pure fiction et toute ressemblance, blablabla....





Dans la pénombre

Penché sur toi, je retiens mon souffle. Rien ne bouge. La pénombre m’empêche de discerner ton corps. Es-tu seulement là ? Lentement, sans bouger, j’apprivoise la raison et chasse avec peine l’angoisse d’une idée folle: Et si tu n’étais plus ? Si la nuit t’avait emporté ? Mais non! Je parviens enfin à capter le mince filet de ta respiration, comme l’homme sur le point de se noyer réussit à empoigner une racine de la berge. Aussitôt, l'angoisse s'évapore.

J’écoute avec bonheur ce bruissement léger, ce souffle aussi ténu que celui de la brise faisant trembler les branches du grand saule pleureur penché sur la rivière.

Je m’incline un peu plus. Une larme glisse sur ma joue, tombe prés de toi avec un "toc" malicieux et furtif. J’imagine que cette infime parcelle d’océan s’est écrasée sur un objet de carton ou de plastique. Un jouet ? La couverture d’un livre ? Mon esprit, distrait de ses angoisses s’acharne à démasquer l’intrus caché dans ton lit. Toc. Le même sonc que celui qui, cet après-midi encore, mettait à rude épreuve mes tentatives de lecture...

Une bûche sans doute trop humide chuintait tandis que les flammes léchaient son écorce ; Les galeries creusées par les termites craquaient dans des crépitements sans lendemain. Je tournai mon regard vers la fenêtre aux rideaux tendus sur l’opacité de la fin du jour. De la pluie, je ne percevais que le tambourinement incessant de la gouttière exsangue se déversant sur le trottoir.

Et puis, au-dessus de ma tête, ce toc-toc-toc pernicieux sur le sol du grenier. Une fuite dans la toiture ! Je tendis l’oreille vers la source du bruit. Le choc sourd de l’eau sur la lame de bois du plafond de l'étage se fit entendre plus à gauche. Où était-elle, bon dieu, cette brèche dans la coque de mon arche fragile ? Je sentais mon cœur s'emballer ; il fallait au plus vite situer l’ennemi pour mieux le combattre. Je refermai dans un claquement étouffé du papier le livre sur mes genoux, et coeur et corps aux aguets, je me mis à guetter, le regard au plafond.

Alors, comme pour me narguer, le toc lancinant et irrégulier se transforma en tac-tac-tac régulier semblant dire : « je suis là ! Je suis là ! Je suis là ! ».

Soudain, la porte d'entrée, gonflée par l’humidité, s’est ouverte avec le fracas d’un raclement aïgu sur la pierre du seuil. Tu es entré, riant aux éclats pour venir t’ébrouer au milieu de la pièce. Tes vêtements détrempés clapotaient sur les tomettes délavées.

J’aurais du me fâcher, te gronder, te dire : « Stupide enfant ! Tu vas prendre froid ! » Mais ton rire joyeux faisait taire toute autre pensée que la tendresse. J'en oubliais mon rôle de père.

Je t’ai serré dans mes bras, sans un mot. Sur nos cœurs qui battaient à l’unisson, le silence est retombé comme une gaze sur les dernières parcelles du jour. Mais dans le recueillement qui  suivit, j’ai surpris un claquement de dents ; la fièvre n’allait-elle pas venir te surprendre au milieu de la nuit ?...

Penché sur toi je respire ton souffle et me berce de ce bruit pareil à celui des vagues sur une plage lointaine.

L’orage est passé. Dans la pénombre, j’entends encore une fois le toc d’une goutte retardataire tombée de la toiture.

Penché sur toi, dans un souffle, je murmure un  «Je t'aime.» à ton oreille invisible.

1 commentaire:

  1. En guise de commentaire, essayons un simple effet de miroir, comme D.Sigur l’a fait pour un autre texte, et prenons ce poème de Jules Supervielle, qui exprime la même fascination :

    L’ÂME ET L’ENFANT

    Ton sourire, Françoise, est fluide d’enfance
    Et le monde où tu vis encore mal éclairé,
    Mais ton âme déjà luit dans sa ressemblance,
    Elle a la joue aimante et le teint coloré.

    Et vous vous en allez comme des sœurs jumelles
    Dont l’une est faite d’air du matin ou du soir.
    Si je me mets devant ses légères prunelles
    Je sais que l’autre attend sa part de mes regards.

    Vienne une promenade et vous voici parées
    Et courant à l’envi derrière l’avenir.
    Laquelle va devant dans sa grâce égarée,
    Laquelle va derrière et prise par un fil ?

    Le vent et le soleil si bien vous multiplient
    Que vous faites courir les rives de la vie.

    Jules Supervielle – « Gravitations »

    Du texte de Denis Sigur, finissons par cet exemple :

    « De la pluie, je ne percevais que le tambourinement incessant de la gouttière exsangue se déversant sur le trottoir. »

    Et nous avons un extrait de la musique si l’on veut bien décomposer la phrase en 5 séquences dont 3 ont un nombre de syllabes croissant (3+5+10) qui mime la perception envahissante de la pluie, et 2 d’égales dimensions (2 octosyllabes, si l’on veut) qui expriment l’étalement inexorable et uniforme de l’eau musicale.. Allons nous ajouter le tambourinement du son [ã] lancé 2 fois par ce mot même et repris 3 fois avec l’allitération de [s], elle-même répétée 2 autres fois ? Quel rythme et quelle mélodie ! Surprises de la langue qui aime son sujet bien aimé. Faut-il continuer ? On peut.

    RépondreSupprimer

over-blog.com