Le Blog de Denis Sigur

Le Blog de Denis Sigur

mardi 23 février 2010

Accusé de déception

Andy Wharol prétendait que chacun d’entre nous est amené, au cours de son existence, à connaître son quart d’heure de gloire. Le mien vint sans doute un jour de juin 1987. C’est du moins ce que je pouvais être en droit de croire alors…



J’allais avoir 25 ans. J’étais étudiant en Lettres Modernes et surveillant d’internat dans un collège aux confins du Tarn. Je venais de vivre une séparation douloureuse et j’étais amoureux d’une belle et énigmatique camarade d’université sous les fenêtres de laquelle – elle logeait dans un foyer tenu par des sœurs- j’allais nuitamment siffler des airs d’opéra pour essayer d’infléchir ses sentiments à mon égard. En vain et sans illusion aucune…



Je tournais en rond et ma vie, elle, ne tournait pas rond. Je n’avais aucune perspective professionnelle à laquelle me raccrocher. Je vivais seul avec mon chat – baptisé "Sartre" à cause du strabisme divergent dont il était affublé quand je l’avais adopté – et traînais ma mélancolie entre mon appartement sous les toits et les bancs de l’université. J’occupais mon temps libre en conjuguant quatre activités principales : lire, écrire, courir et écouter de la musique classique.



A cette époque là, une revue mensuelle entièrement consacrée à la nouvelle fit son apparition dans les kiosques. « N comme Nouvelles » coûtait la coquette somme de 30 francs, mais l’occasion était alors si rare de lire ce genre de magazine et de pouvoir lui envoyer des textes que je faisais ce sacrifice mensuel sur mon faible budget d’étudiant. Je soumis plusieurs textes au comité de lecture, sans succès. Et un jour, la revue proposa un concours de nouvelles sur le thème du « crime parfait ».



Sur le coup, je décidai de ne pas concourir. Le polar et la littérature noire étaient alors considérés comme des genres mineurs, de la sous littérature, surtout pour un étudiant de Lettres Modernes rêvant d’être promis à un glorieux avenir d'écrivain…. Je l’avoue : j’étais alors un jeune prétentieux empli de... prétentions.



Mais, après avoir lu le courrier des lecteurs de la revue, je me ravisai car je venais d’y trouver le matériau idéal. Un auteur, encore plus prétentieux que je ne l’étais alors s’y plaignait de ne pas voir son talent reconnu. Je n’avais plus qu’à extrapoler. Et pour parfaire ce qui, à mes yeux n’était qu’une aimable pochade, après avoir tapé à la machine sur du papier très fin le texte qui suit, je l’envoyai en recommandé avec accusé de réception au rédacteur en chef de « N comme nouvelles »



Les semaines, les mois s’écoulèrent et j’oubliai le concours. Il faut dire que je m’étais alors trouvé une autre occupation : Pour fêter mon quart de siècle approchant – et au cours duquel je n’avais strictement rien fait de ma vie, il faut tout de même le souligner – j’avais décidé de courir en solitaire de Toulouse à… Gibraltar, soit 1600 km en plein cœur de l’Espagne et en été avec des étapes quotidiennes allant de 35 à 70 km. Un pari d’autant plus fou et inconscient que je n’avais jamais jusque là parcouru plus longue distance que mes 8 à 10km  quotidiens à tourner en rond dans le Jardin des plantes à côté de chez moi…



Je préparais donc mon futur périple, une première à l’époque, en faisant le tour des sponsors éventuels et des médias. J’oubliais juste de m’entraîner… La presse relaya assez bien mon projet, si bien qu’un matin, le facteur sonna à ma porte pour m’apporter un télégramme émanant du secrétariat de… Nicolas Hulot ! Le journaliste préparait alors la première de son émission culte, « Ushuaia » et recherchait des sujets. Il n’y eut pas de suite, mais sur le coup j’étais assez fier, ou pour être plus exact, fier comme un paon.



Ce même jour, pendant que j’étudiais les cartes détaillées du réseau routier espagnol, mon téléphone sonna. C’était la rédaction de « N comme nouvelles ». Mon texte et les conditions de son arrivée au siège de la revue avait fait rire tout le monde : « Notre jury n’a pu se retenir de décerner à un quatrième auteur (il n’y avait que trois lauréats dans le règlement initial), Denis Sigur, pour son humour corrosif, une exceptionnelle « mention spéciale » (…) Ultime précision : la mention spéciale que notre jury unanime (rédacteur en chef compris) lui a décernée, ne doit bien sûr rien à un odieux chantage qu’il aurait exercé… Reste que son idée empoisonnante lui ait venue à la lecture du… « Courrier des lecteurs de N. ». Je reçus un chèque de 500 francs, une jolie somme à l’époque; puis je me lançai sur la route de Gibraltar…




Le numéro 11 de la revue parut en juillet, mon texte figurant en bonne place, pendant que je parcourais le bitume fondu des routes de la Mancha, pathétique Quijote en quête de la gloire pour éblouir son inaccessible étoile. Il n’y eut jamais de numéro 12. La revue cessa d’exister juste après.
Quant à moi, j’atteignais ma destination 31 jours plus tard, dans le plus total anonymat, amaigri ( J’ai laissé 12 kg dans l’aventure…), épuisé, ruiné (je mis plus de cinq ans à rembourser le découvert engendré pour financer le raid) et avec l’étrange sentiment de n’être qu’un singe de plus parmi la colonie de quarante spécimens peuplant le rocher de Sa Majesté Britannique. Mais ça, c’est une autre histoire….


Accusé de réception



Monsieur le Rédacteur en Chef,

J’ai pris connaissance du concours de nouvelles que votre revue organise sur le thème du crime parfait et je vous envoie cette lettre en recommandé avec accusé de réception pour être bien certain que vous la lisiez vous-même. Car je ne suis pas né de la dernière pluie – oh ça non ! - et je connais par cœur toutes vos combines, à vous les éditeurs, toutes vos machinations, vos manipulations d’auteurs dans le seul but de gagner de l’argent, encore et toujours de l’argent.

Le talent, le vrai, vous vous en fichez éperdument. Vous traitez les auteurs avec mépris sans jamais tenir compte de leurs qualités et même parfois, comme ce fut le cas avec moi, de leur génie.

Mon nom ne vous dit sûrement rien - n’est-ce pas ? – ce qui prouve bien votre manque d’intérêt pour tous les textes que l’on vous envoie. Allons, avouez-le, vous n’avez jamais lu une seule de toutes les nouvelles que je vous ai fait parvenir. Jamais ! Et pourtant, j’ai du talent. Du génie, même. Je suis l’héritier spirituel d’Henry James et de Marguerite Duras, la synthèse de Katawaba et e Montaigne. Je suis peut-être, que dis-je, certainement, le plus grand génie de la littérature de ce siècle et des siècles à venir.

Mais vous, en dépit de cela, vous persistez à ignorer mon œuvre, préférant publier de petits écrivains minables et inconnus, des gens sûrement bien placés et dont le seul talent consiste à avoir des amis capables de financer votre journal.

Il est temps pour moi, cher Rédacteur en Chef, de vous donner une petite leçon et de vous montrer à quel point vous vous êtes trompé sur mon compte jusqu’à présent.

Je ne vous enverrai pas de nouvelle cette fois-ci et je ne participerai pas non plus à votre concours ; ma place dans la vie littéraire à venir est bien trop importante pour que je m’abaisse à ce point.

Cependant, je veux vous démontrer combien il m’aurait été facile de gagner ce concours, si j’avais voulu. Un jeu d’enfant à vrai dire.

Avez-vous remarqué combien ce papier à lettre est fin ? Si fin même que vous avez été obligé à plusieurs reprises d’humecter vos doigts sur vos lèvres pour pouvoir en séparer les feuillets. Est-ce que je me trompe ? Non. Alors continuons, voulez-vous ? Vous allez voir ; c’est très intéressant. En fait, chaque feuillet de cette lettre est recouvert d’une pellicule de poison capable de tuer un bœuf. Rassurez-vous, cette potion, que j’ai ramenée d’Amérique du Sud est absolument indolore et ne laisse aucune trace. Vous ne souffrirez donc pas et les médecins concluront certainement à un arrêt cardiaque.

Quant à ma lettre, il n’en subsistera aucune trace après votre décès. Elle est, voyez-vous, écrite à l’aide d’une encre qui a l’extraordinaire particularité de se désagréger au bout de quelques instants au contact de la lumière. D’ailleurs, si vous avez des doutes, vous pouvez vérifier sur les feuillets que vous avez certainement déposés sur votre bureau. Allez, jetez un coup d’œil puisque vous ne me croyez pas…

Alors, n’avais-je point raison ? Hé oui ! Vous allez mourir, cher Rédacteur en Chef, et personne ne soupçonnera le meurtre que je viens de commettre !

Toute tentative de résistance serait vaine. Si mes calculs sont exacts, et ils le sont certainement, à cette heure-ci vous êtes absolument seul dans votre grande maison ; et puis vous devez sans doute être envahi depuis un petit moment par une torpeur grandissante qui vous tient cloué dans votre fauteuil.

Vous avez toujours refusé de me considérer comme un écrivain de génie. Avouez au moins que je suis un parfait criminel.

Adieu cher Rédacteur en Chef

Très cordialement

B.L.H

2 commentaires:

  1. Je laisse à leur examen de conscience ceux qui ne m'ont pas cru - ils étaient nombreux - lorsque je dénonçais ici-même, il y a peu, les inquiétantes pulsions de Denis Sigur. Meurtrières ? C'est vous qui le dites !

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  2. Cher Michel
    Vous pouvez bien me suspecter de toutes les pulsions tant que vous continuez à vlaisser vos commentaires sur ce Blog. Sans eux j'aurais bien l'impression que personne ne lit ces articles. Internet, un moyen de communication plus rapide, plus efficace? A moins que nous ne soyions là aussi devant les stigmates de la société consumériste: On vient, on prend mais on ne laisse rien en échange...
    J'aimerais tant que quelqu'un m'entende quelque part... Pardon Anna Gavalda pour cet emprunt et merci Michel de me comparer à un Dexter de l'écriture. pas certain que vous ne figuriez pas en bonne place sur la liste de mes prochaines victimes. Surveillez votre boîte aux lettres !!!

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